Monsieur le Premier ministre, tout d’abord, je vous félicite pour votre nomination comme Premier ministre et espère que votre précédente fonction en tant que Ministre des Outre- mer permettra un engagement plein et entier pour nos concitoyens ultramarins. Vous connaissez autant le potentiel que les difficultés que rencontrent nos territoires. (Photo photo RB/www.imazpress.com)
À l’occasion d’un entretien paru ce samedi 13 septembre 2025 dans le quotidien Ouest-France, vous avez indiqué que le projet de loi sur la vie chère en Outre-mer “a énormément de valeur” et que vous étiez “à l’écoute” pour “renforcer” ce texte.
Dans ce cadre, je tenais à vous exposer quelques pistes en vue de son prochain examen que j’espère le plus rapidement inscrit à l’ordre du jour du Sénat.
En effet, les attentes de nos concitoyens ultramarins sont vives face au fléau de la vie chère. Certaines de ces propositions ont été partagées à Monsieur le Ministre d’État, Ministre des Outre-mer Manuel Valls il y a quelques semaines.
Compte-tenu de la structuration de nos économies, fortement marquée par le caractère oligopolistique voire monopolistique de certains secteurs, j’attire votre attention sur la nécessité de réintroduire dans le code du commerce une disposition de la loi dite Royer. Cette mesure, issue d’un amendement du député réunionnais André Thien Ah Koon, disposait qu’une enseigne ne pouvait posséder plus de 25% des surfaces alimentaires.
Supprimée par l’abrogation de la loi, elle serait assurément bénéfique à nos territoires et à nos familles au regard du phénomène de concentration des moyennes et grandes surfaces de distribution. Elle devrait également être élargie à d'autres secteurs que celui de l’alimentaire. Mise à nouveau en exergue notamment à l’occasion de la commission d’enquête parlementaire sur le coût de la vie dans les collectivités territoriales régies par les articles 73 et 74 de la Constitution, cette disposition a été adoptée lors de l’examen de la proposition de loi visant à prendre des mesures d'urgence contre la vie chère et à réguler la concentration des acteurs économiques dans les collectivités territoriales régies par les articles 73 et 74 de la députée Béatrice Bellay.
De plus, l’article 1er du projet de loi tel que rédigé prévoit la possibilité d’exclure le prix du transport du calcul du seuil de revente à perte. Si cette possibilité apparaît comme le moyen d’abaisser les prix pour les consommateurs de certains produits, notamment de première nécessité, il apparaît qu’elle pourrait engendrer une distorsion de concurrence entre les grandes et les petites entreprises mais également au détriment des produits locaux pour lesquels les frais d’acheminements sont naturellement bien moindre.
L’article 3 relatif ouvre la capacité au président de l’Observatoire des prix, des marges et des revenus (OPMR) d’une saisine du préfet en cas de variations excessives de prix aux fins de fournir en réponse une analyse de la situation au regard de la réglementation prévue.
Cette disposition semble largement insuffisante au regard des propositions parlementaires, parfois même des OPMR, notamment celui de La Réunion bénéficiant de plusieurs années d’expérience et d’expertise. Parmi nombre de ces pistes, doter les OPMR de la personnalité juridique et de moyens qui leur sont propres (locaux, budget, personnel) serait nécessaire.
La mise en place de la transmission obligatoire des montants correspondants aux “marges arrière” à l’autorité administrative chargée de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes sera une avancée concrète dans la transparence si les sanctions, pour non-respect de cette disposition, étaient de nature à être particulièrement dissuasive, par des sanctions financières conséquentes à la hauteur de celles prévues à l’article 9 - issus de la proposition de loi du sénateur Victorin Lurel - ou pouvant entraîner, en cas de réitération du manquement, une interdiction de gérer.
Concernant l’article 10 relatif à l'autorité de la concurrence, la rédaction actuelle prévoit l’élargissement du collège avec deux nouveaux membres “parmi des personnalités ayant une expertise en matière économique ou en matière de concurrence dans les outre-mer” ainsi que la création d’un service dédié à nos territoires ultramarins. Si je salue ces deux avancées, notamment la seconde que j’avais portée à travers un amendement à l’occasion de l’examen du projet de loi de Finances pour 2025, il apparaît nécessaire que le service créé le soit de manière déconcentrée, a minima par bassin, afin que les personnels dédiés puissent être au plus près des réalités, des pratiques commerciales de chacun de nos territoires - chaque économie locale ayant des caractéristiques - et dans un objectif de réactivité et d’efficacité.
Il me semble par ailleurs tout à fait essentiel d’ajouter à ce projet de loi des dispositions en faveur de la production locale. Produire nous-même nos biens agricoles ou industriels permet, bien sûr, le développement économique et la création d’emplois au sein de nos territoires mais cela permet aussi de lutter contre la vie chère, en évitant des importations lointaines et coûteuses. Par ailleurs, cela renforce la résilience de nos territoires face aux menaces qui peuvent peser sur les routes maritimes ou des sources d’approvisionnement extérieures. Je dispose de plusieurs propositions afin de conforter et renforcer l’agriculture réunionnaise.
Il ne s’agit ici que de quelques propositions parmi celles que je suis en train de rédiger et d’échanger avec les acteurs de la société civile réunionnaise. J’aurai d’autres propositions à vous faire lors de l’examen du projet de loi que j’espère, une fois de plus, le plus tôt possible.
Au-delà du projet de loi vie chère, il me faut bien entendu souligner le caractère déterminant du Projet de loi de finances et du Projet de loi de financement de la sécurité sociale 2026. Je vous l’indique dès à présent : la situation de grande fragilité sociale de nos territoires invite à la plus grande prudence. Je pense notamment aux vives inquiétudes des petites voire très petites et moyennes entreprises relatives à la LODEOM.
Les coupes budgétaires dont ont été victimes la jeunesse, le sport, l’insertion sociale via les missions locales sont à proscrire pour 2026, tout comme s’attaquer à d’autres politiques publiques en crise comme l’est le logement. Je pense par ailleurs à l’augmentation des cotisations sociales pour les agriculteurs ultramarins qui est un vrai sujet d’inquiétude au sein de la profession. Il est évident qu’un projet de loi contre la vie chère, même amélioré par la reprise de nos propositions, ne serait pas suffisant si des reculs sociaux venaient à être votés dans le cadre du budget. J’ai des propositions à vous faire concernant ces deux projets de loi afin d’améliorer la situation des Réunionnais ou l’efficacité de nos politiques publiques.
Enfin, au-delà des textes qui seront examinés par le Parlement, votre Gouvernement est attendu sur des textes réglementaires. Les décrets d’application de la loi que j’ai déposée et défendue au Parlement doivent pouvoir faire l’objet de concertations appropriées, écoutant les forces vives des Outre-mer. Le texte prévoyant un leasing social des voitures électriques, dispositif qui a oublié nos territoires lors de la première édition, doit cette fois comporter un quota pour les Outre-mer tenant compte de l’oubli passé. Ce ne
sont que quelques exemples là encore.
Je vous prie de bien vouloir agréer, Monsieur le Premier ministre, l’expression de ma très haute considération.
Audrey BÉLIM Sénatrice de La Réunion