Tribune libre de Brigitte Croisier

Des mots pas si innocents

  • Publié le 12 mars 2020 à 12:02
  • Actualisé le 12 mars 2020 à 12:12
Brigitte Croisier

Journée internationale de la femme ou des femmes ? Détail sémantique ? Pas sûr ! Et même une contradiction logique. Car comment associe-t-on l'universalité proclamée de cette journée et la singularité concrète de la personne concernée ? En réduisant l'objet de cette journée à "la" femme, on se condamne à se contenter d'une notion vide, abstraite, désincarnée, définie schématiquement, négativement comme ce qui n'est pas homme. On gomme ainsi la diversité physique, culturelle, émotionnelle des femmes liées à une terre, à un environnement humain original, à des traditions, structurantes ou aliénantes. Dire "la" femme, c'est enfermer un être humain avec tout son potentiel de créativité dans un moule appauvrissant, vide.

Parce que, s'il ne s'agit que de fêter une journée par an quel contenu, quelle valeur donner à cette journée, quelle symbolique ? En réalité, pour avoir du sens, le 8 mars marque La Journée internationale des femmes pour l'égalité des droits, des droits qui ont exigé de mener des luttes diverses.

Car la situation historique des femmes est marquée par de multiples formes de domination, contre lesquelles elles ont dû se battre avec leurs armes, individuellement et collectivement. Et les champs de ces luttes sont variés. Domination de leur corps, répression de leurs désirs, contrôle de leurs représentations mentales, domination qui a pris des formes violentes (excision, infibulation, lapidation, brûlées vives sous l'accusation de sorcellerie). Le pire est la violence du meurtre au nom de l'amour dans un renversement scandaleux où le coupable se présente comme une victime ! Elles ont dû aussi se battre tout au long des siècles pour faire leur place dans les structures économiques et sociales, faire reconnaître leurs qualités et de là exiger l'égalité salariale. Les luttes récentes ont porté à la lumière des revendications concernant le genre et, des années après les luttes pour le droit à la contraception et à l'avortement, celui de procréer pour les couples homosexuels.

Les droits ne tombent pas du ciel, ils sont conquis, parfois remis en cause. Le féminisme - il faudrait dire "les" féminismes - s'exprime aussi en tant que mouvement de pensée, qui, aux différents moments de l'histoire, analyse la situation concrète des femmes, esquisse des voies de libération possibles, où la dimension internationale n'efface pas le local.
Récemment s'est affirmé l'écoféminisme (terme dû à Françoise d'Eaubonne), mouvement déjà présent dans les années 70, est la conscience d'une relation pacifiée avec la nature qui veut remplacer les divers modes de domination et d'exploitation par la conscience des multiples interrelations entre les êtres vivants. On voit la diversité des manifestations et expressions féministes.

Nous n'oublions pas en cette période électorale la place des femmes sur le terrain politique, place qui fut difficile à conquérir, comme si le pouvoir était un attribut "naturellement" masculin". Ce qui ne veut pas dire qu'être femme préserve des abus dans l'exercice de ce pouvoir, comme le chanteur Renault le rappelait à propos de Mme Thatcher (chanson Ode aux femmes).

L'histoire réelle des femmes n'est donc pas un conte de fées, mais le récit circonstancié de leurs batailles dont le résultat n'est jamais définitif, mais toujours susceptible de remises en cause.
Il ne s'agit donc pas de "la" femme, mais de femmes assumant leur diversité internationale et formulant leurs revendications en fonction de leurs propres besoins, rêves et désirs. Une lutte qui n'est jamais close et qui, parfois refoulée au plus profond de l'être, éclate des années après le traumatisme, témoignant de la douleur subie, innommable.

Brigitte Croisier

 

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