Tribune libre de Georges Donald Potola

L’alcool, cet ami qui est notre pire ennemi

  • Publié le 5 décembre 2025 à 06:13
  • Actualisé le 5 décembre 2025 à 06:15
campagne anti alcool à la sodiparc

À l’approche des fêtes de fin d’année, les temples de la consommation ouvrent grand leurs portes. Et derrière les cadeaux soigneusement empilés se dresse dans les rayons un danger, source de malheurs et de tragédies, que l’on nomme alcool (Photo d'illustration : sly/www.imazpress.com)

Dès mon plus jeune âge, j’ai croisé sa route. Dans le quartier où je grandissais, le septième jour n’était pas seulement celui du Seigneur, c’était aussi celui de l’ivresse. Mon père en était un adepte infatigable. Avec mes yeux d’enfant, j’observais la joie de ceux que la pauvreté poussait à boire, faute d’autre moyen pour oublier le poids de leur misère.

Je revois et entends encore ce vieux tourne-disque laissant s’échapper la voix de Maxime Laope et Benoîte Boulard : « La rosée tombée… tombe dessus mon tête ». Autour, des femmes en longues robes, capelines en vétiver, les corps maigres rongés par l’alcool, se trémoussaient sur une piste de terre battue, à l’ombre d’un grand teck d’Arabie. J’aimais les voir heureuses. Leur secret, une bouteille de Perrier remplie de rhum blanc, que l’on allait recharger toute la journée à la boutique du coin.

J’avais neuf ans lorsque j’ai compris que la fête pouvait basculer dans la tragédie. Un dimanche après-midi, la mère de mon camarade de jeu s’effondra, égorgée par son mari après un week-end de fête dont l’alcool avait été l’invité d’honneur. Je n’avais jamais autant pleuré, non devant le corps sans vie, mais devant la détresse de mon ami, brisé, perdant d’un même coup sa mère… et son père, emmené en prison.

Je venais d’être témoin de ce que l’on nomme aujourd’hui un féminicide. Rien ne le laissait présager, un couple ordinaire, un homme qui travaillait, une femme au foyer… et l’alcool.

Plus tard, au lycée, je m’approchai moi aussi de ce vieux “ami”. Il ne m’a rien demandé, c’est moi qui suis allé vers lui. Un verre, et j’étais joyeux, détendu, ma timidité s’évanouissait. Aux boums, je me sentais le meilleur danseur de disco, un John Travolta Péï. Les filles semblaient apprécier cette version artificielle de moi-même. Cet alcool me donnait l’illusion de m’offrir ce que la vie m’avait refusé : confiance, aisance, insouciance.

Je n’étais pas seul. Nous étions une bande de compagnons d’infortune. Pendant les vacances, nous allions de case en case ramasser les bouteilles consignées, que nous échangions contre un morceau de pain et une tranche d’épaule cuite. Le dimanche, nous l’attendions avec impatience, c’était le jour de retrouver notre “ami”. Et, faute d’argent, il fallait dénicher une âme généreuse pour payer la tournée.

Mais en moi revenaient sans cesse des images tenaces : familles ruinées, cris, sang, larmes. Autour de moi, je voyais certains de mes compagnons (aujourd’hui pour la plupart disparus), devenir agressifs ou incohérents dès qu’ils buvaient.

Alors, lentement, je me suis retiré. Replié sur moi-même, j’ai découvert un nouvel ami : le livre. Il m’ouvrait des mondes immenses. Zola, La Fontaine, Hugo, SAS de Gérard de Villiers, les vieilles collections bleues, roses, vertes et même les Lancio color etc. Tous m’invitaient à rêver d’une autre vie, à m’évader. De ma chambre, je parcourais le monde, je priais aussi et la foi m’a sauvé.

Quitter ses amis d’enfance, renoncer aux repères du passé, tenter de s’intégrer dans une société qui ne veut pas de vous… rien de cela n’est simple. Le chemin fut long, jalonné de blessures, de rejet, de découragement, parfois même de trahison. C’est ainsi que j’ai fini par comprendre que la misère et l’alcool marchent souvent main dans la main.

Et pourtant, je n’ai jamais été un grand buveur. Je buvais pour m’amuser, comme tant de jeunes. Mais j’ai compris que cet “ami” était en réalité mon pire ennemi. Il commence par vous rassurer, il vous attache à lui, vous rend dépendants avant de vous détruire lentement. Il vous ronge de l’intérieur, vous éloigne de ceux que vous aimez : mère, père, époux, épouse, enfants, amis. Et cet alcool, hélas, est partout. À tous les prix, accessible même aux enfants. Un fléau que l’État tolère, parfois encourage, parce qu’il rapporte.

L’ennemi de l’homme est parfois l'ami de l’économie.

Georges Donald Potola

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