Le Front de gauche et ses partenaires citoyens se sont réunis ce jour avec Les Ecologistes en conférence de presse à la Chaloupe Saint-Leu chez un apiculteur et un agriculteur ‘bio’ pour envisager avec le député Perceval Gaillard la suite qui sera donnée à la promulgation de la Loi Duplomb.
La proposition de loi avait été déposée en novembre 2024 par les sénateurs Laurent Duplomb, Franck Menonville et plusieurs de leurs collègues des groupes les Républicains et Union centriste. Nous avons pris acte des conséquences qui ont suivi : presque toutes les demandes de l’agro-industrie ont été intégrées à loi Duplomb qui vient d’être définitivement votée par le Parlement le 8 de ce mois !
Aux vives protestations qui se faisaient déjà entendre depuis plusieurs mois, ont succédé les nombreuses déclarations politiques, y compris dans notre île, pour exprimer la colère des défenseurs de l’agriculture, de l’environnement et de la santé de toutes et tous. A ce jour, plus de 2 millions de votes enregistrés suite à la pétition lancée sur le site de l’AN par voie électronique sur une plate-forme dédiée et sécurisée. Ce nombre record nous propulse dans un changement d’échelle, l’opposition massive à ce texte est devenue un véritable fait politique ! Pour rappel, la pétition de Notre Affaire à tous pour la défense en justice du climat avait atteint des chiffres à peu près comparables (2,3 millions de signatures). Ce mouvement devenu association a par ailleurs récemment déclaré concernant la loi Duplomb que celle-ci "contient de nombreuses dispositions dangereuses : atteintes aux principes fondamentaux de protection de l’environnement, contournement des procédures démocratiques, affaiblissement du rôle des collectivités territoriales".
On l’a vu sur les réseaux sociaux et la presse s’en est fait l’écho, d’aucuns n’ont pas manqué de qualifier les pétitionnaires de ‘fascistes’, ‘irrationnels’, ‘débordés par l'émotion’ … Pourtant, parmi eux/ parmi nous, il y a des médecins, des chercheurs, des éducateurs, des enseignants, des juristes, en somme des professionnels de tous bord, et même un collectif de 400 chefs cuisiniers et acteurs de la restauration ont pris la parole pour dénoncer « une insulte à la santé de tous ». Observons aussi, sans faire davantage de commentaires, qu’on a été confronté à une tentative massive de décrédibilisation/délégitimisation des votes …
Cette loi "visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur", dixit Monsieur Duplomb, permet de réautoriser l’acétamipride (pesticide de la famille des néonicotinoïdes, un pesticide tueur d’insectes pollinisateurs et suspecté d’être toxique pour le développement du cerveau) et répond en fait à plusieurs demandes de la FNSEA, qui ne cesse de faire pression pour un allègement des règles. Oui, cette molécule a toujours été réclamée par les producteurs de betteraves sucrières notamment dont l’usinier n’est autre que Tereos dont on sait que la transformation de la betterave autant que celle de la canne à sucre constituent les plus importantes sources de revenu ...
Unanimement condamnée par les associations de protection de l’environnement, cette loi désormais signée ne répond ni aux enjeux d’enrayement de l’effondrement de la biodiversité, ni aux urgences en termes d’atténuation et d’adaptation au changement climatique. C’est même une attaque frontale au monde agricole et à notre santé. On le sait (les résultats de la recherche le prouvent) que certains fruits et lé-gumes ont déjà pu être exposés à des doses d’acétamipride largement au-dessus des normes de sécurité, c’est-à-dire le maximum qu’il est possible d’ingérer en un jour sans s’exposer à des risques. L’analyse de certains échantillons attestent que, dans certains cas, on dépasse même très largement les seuils d'exposition considérés comme sûrs pour la santé (des seuils qui ont explosé à Mayotte). Avec cette réintro-duction programmée d’ici 2026, on ne peut pas exclure un risque d’intoxication et même potentiellement neurotoxique ; le produit ayant déjà été retrouvé dans l'urine de nouveau-nés ...
Reste bien sûr à savoir pourquoi étrangement ces éléments scienti-fiques ne sont pas largement portés à la connaissance du public ? Ce d’autant que « les agriculteurs ne respectent pas toujours les dosages auto-risés", selon Xavier Coumoul, toxicologue à l’Inserm.
MAIS QUE DIT CETTE LOI ?
• Art.2 : l’utilisation de Acétamipride interdit en France depuis 2018 (des études démontrent que cette molécule a des effets nocifs sur la fertilité et sur le système nerveux), mais pas dans les autres pays de l’UE d’où la levée de boucliers du côté des syndicats agricoles de la Coordination Rurale et de la FNSEA dénonçant une concurrence déloyale (surtout pour les producteurs de betteraves) ;
• Art 3 : cette loi permet de faciliter l’agrandissement ou la création de bâtiments d’élevages intensifs. On pourra avoir par exemple un élevage de 85 000 au lieu de 40 000 poulets, et cela sans autorisation à compter de fin 2026 ! Ce qui revient évidemment à encourager un modèle dont on ne veut plus eu égard à l’exigence de qualité de ce que nous consommons, à l’impact sur le climat, sur les sols et pour le bien-être animal ;
• Un autre article prévoit la possibilité de stockage d’eau … quand il y a un intérêt majeur. Ce qui signifie qu’il devient maintenant possible de faire des exceptions, donc de ne plus tenir compte des règles environnementales. D’où le risque de laisser se développer des méga-bassines qui sont des réservoirs d’eau puisées dans les nappes phréatiques, directement !
• Autre point : un décret du 10 juillet prévoit d’imposer des priorités à l’ANSES pourtant censée être indépendante. Même si l’article a été remodelé cela équivaut toujours à une mise sous tutelle de cette institution !
En résumé, les différents articles de cette loi constituent un florilège des démarches les plus obscurantistes : ré-autorisation et promotion des néonicotinoïdes malgré leur dangerosité, autorisation de la pulvérisation de pesticides par drone avec la possibilité d’un rehaussement des seuils, agrandissement des élevages, construction de mégabassines d’irrigation, renforcement du lobby agricole dans les instances de ges-tion de l’eau et réduction des zones humides protégées.
Le monde est au bord de l'effondrement, les alertes sur les dangers des pesticides pleuvent depuis plus de deux décennies, toujours plus fortes, toujours plus documentées scientifiquement. Là c’est l’acétamipride, là-bas c’est la chlordécone, avant et partout c’est le glyphosate.
Politiques, citoyens, collectifs militent pour des politiques agricoles et alimentaires plus écologiques, plus saines et plus démocratiques. Plus grave, l’Agence nationale de sécurité sanitaire l’a rappelé : des « solutions alternatives efficaces et opérationnelles » existent depuis des années !
Notre colère vient de plusieurs axes à la fois :
• Nous venons d’être assommés par l’annonce du budget le plus austère de la Vème République avec des coupes drastiques orchestrées par notre Gouvernement. Au programme : casse sociale, recul pour notre santé, nos retraites, l’enseignement, … Pour
Les Ecologistes, ce budget est une occasion manquée de préparer notre avenir : en finançant la transition écologique, en investissant dans l’éducation et la recherche, en restaurant la justice fiscale et sociale, etc.
• Il n’a pas eu de débat démocratique autour du texte pour la loi Duplomb, il a même été complètement court-circuité ! Mais on connait bien la verticalité du pouvoir qui nous impose depuis sa mise en place de nous habituer aux passages en force ...
• L’intervention de la fondatrice du collectif Cancer colère interpellant les députés, les prises de position du CNRS, celles de la Ligue contre le cancer, etc. doivent être entendues.
En clair, la loi Duplomb nous confronte à un monde de régressions très graves et à différents niveaux : notre santé, celle des agriculteurs, celle de notre environnement, celle de notre planète ! Elle est le symbole d’un modèle obsolète, passéiste, sur lequel on continue de s’accrocher et qui ne profite en réalité qu’à une minorité d’acteurs économiques.
Producteurs et environnementalistes sont face à un sentiment grandissant et vibrant de déni de démocratie. Certes les pétitions n’ont pas de valeur juridique, mais lorsqu’elles atteignent une telle ampleur on se doit de reconnaître qu’on est face à une situation exceptionnelle qui exige un sursaut.
Nombreuses associations Notre Affaire à Tous, Générations Futures, Pollinis, la Ligue des droits de l’Homme, Greenpeace France, la Fondation pour la Nature et l’Homme, la Fondation 30 Millions d’Amis, etc. ont déposé une contribution auprès du Conseil constitutionnel contre cette loi décrite comme « mortifère et toxique ».
Le Conseil constitutionnel a été saisi de ce texte et se prononcera sur sa constitutionnalité le 7 août prochain. Les parlementaires (députés et sénateurs) à l'origine de saisines invoquent sa non-conformité en lien avec plusieurs principes à valeur constitutionnelle : principe de clarté et de sincérité du débat parlementaire, droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, principes de prévention, de précaution et de non-régression du droit de l'environnement...
Pendant ce temps, notre Président déclare pour sa part attendre les conclusions du Conseil Constitutionnel avant de s’exprimer face à cet énorme mouvement de contestation, tout en appelant à concilier « science » et « juste concurrence » en matière environnementale. Pourtant, c’est en son pouvoir et de sa responsabilité de demander une nouvelle délibération sur tout ou partie de la loi au Parlement qui ne peut pas la refuser selon l'article 10 de la Constitution. On reste attentif !
Autre possibilité, un référendum d’initiative partagé (RIP) est également envisageable, mais il devra réunir encore davantage de signatures pour qu’il ait lieu et qu’il soit validé par le Conseil constitutionnel.
On le sait, ce débat dans l'hémicycle ne pourra pas revenir sur le texte. Quand bien même il pourrait y avoir encore bien plusieurs millions de pétitionnaires, ça ne changerait rien d'un point de vue juridique. Malgré cela, nous estimons que notre mobilisation généralisée doit être prise en compte. La tension ne va pas s’estomper et il est fort à parier que la rentrée de septembre sera très agitée !
Les Ecologistes sont favorables à des projets portés par et pour les agriculteurs, en conciliant performance économique, sociale et environnementale. Raison pour laquelle c’est essentiel d’encourager les pratiques agroécologiques qui garantissent la protection de la biodiversité au bénéfice du vivant et des territoires par une préservation des sols et de la ressource en eau, par la diversification des cultures, par la restauration de trames écologiques agricoles, par la réduction des intrants et, bien sûr, c’est primordial, par la protection des pollinisateurs.
Nous ne voulons plus faire de ‘petits pas ‘. Notre discours est clair, fort et unitaire, nous assumons un positionnement clivant et conflictuel !
Geneviève Payet
Secrétaire Régionale Les Ecologistes