Au tribunal judiciaire de Saint-Denis, une nouvelle étape vient d’être franchie dans la lutte contre les violences intrafamiliales : dès 2026, un juge aux affaires familiales (JAF) spécialisé dans l’urgence et les VIF sera créé. Pour la juridiction dionysienne, il s’agit d’un tournant majeur, attendu depuis plusieurs années sur un territoire où violences conjugales, violences sur enfants et violences sexuelles restent à des niveaux préoccupants. Cette évolution complète les dispositifs déjà en place, dont les audiences correctionnelles VIF, où est diffusé depuis septembre 2025 un court-métrage inédit de sensibilisation (photo RB/www.imazpress.com)
À partir de l’année prochaine, un magistrat exclusivement dédié aux situations d’urgence familiale et aux violences intrafamiliales prendra ses fonctions au sein du tribunal judiciaire de Saint-Denis. Il traitera l’ensemble des ordonnances de protection – y compris les plus immédiates – et présidera également les audiences correctionnelles spécialisées.
Cette centralisation vise à offrir un interlocuteur unique aux familles en danger, dans un contexte où les délais, la fragmentation des procédures et le manque de lisibilité du parcours judiciaire compliquaient jusqu’ici la protection efficace des victimes.
Le tribunal met en avant plusieurs objectifs : accélérer le traitement des demandes, renforcer la cohérence entre le civil (séparation, résidence des enfants) et le pénal (poursuites pour violences), apporter une expertise réellement spécialisée aux situations de danger, et mieux protéger les enfants – trop souvent les premières victimes de ces violences.
Pour Emmanuelle Wacongne, présidente du tribunal judiciaire de Saint-Denis, cette spécialisation est "une réponse attendue, urgente et structurelle" aux besoins du territoire.
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- Deux audiences dédiées par mois et une parole centrée sur les victimes -
Depuis juin 2023, la juridiction dionysienne organise deux fois par mois des audiences correctionnelles entièrement consacrées aux VIF. Chaque séance traite huit à dix dossiers longs, où la parole des victimes est centrale. Les avocats y sont spécialement formés, les associations – notamment l’ARAJUFA et le Réseau VIF et le barreau de Saint-Denis – sont présentes, et les victimes préparées en amont. Ce format permet de mieux comprendre la dynamique de violence, son ancrage familial, et de personnaliser la réponse judiciaire.
Ces audiences ne se limitent plus à juger : elles doivent prévenir, sensibiliser et parfois amorcer un processus de prise de conscience chez les auteurs.
Pour aller plus loin, le tribunal a déployé depuis septembre 2025 un outil inédit : un film de sept minutes en créole, réalisé par Sabrina Hoarau. Tourné en partie dans l’enceinte même du tribunal, ce court-métrage raconte l’histoire d’un homme jugé pour le meurtre de sa compagne enceinte, et explore les mécanismes d’emprise, de reproduction des violences et de culpabilité.
L’objectif est simple : parler directement aux auteurs. Les codes sont locaux, les dialogues réalistes, la figure maternelle – centrale dans la société réunionnaise – est un miroir. Le film sera projeté avant chaque audience VIF. Auteurs et victimes le découvriront ensemble, pour provoquer un électrochoc, ouvrir un espace de parole et replacer les actes dans une réalité concrète.
Ce court-métrage sera également utilisé au centre pénitentiaire de Domenjod, par le Service pénitentiaire d’insertion et de probation, et par les associations lors de stages de sensibilisation. Un second film, centré sur les violences "en amont" du crime, est déjà à l’étude.
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- Une stratégie globale de protection -
Entre la création d’un JAF spécialisé, la structuration du pôle VIF, les efforts de formation, la coordination renforcée entre police, gendarmerie, parquet et juges, et désormais les outils de sensibilisation audio-visuels, le tribunal judiciaire de Saint-Denis met en place une réponse cohérente et locale à un phénomène massif.
L'association Ecoute moi, protège moi, aide moi (EPA) salue "un dispositif plus que nécessaire pour La Réunion". "C'est une avancée importante, que nous attendions depuis longtemps", indique Jessy Yong Peng, présidente de l'association.
En concentrant les décisions familiales urgentes et les procédures pénales autour d’un magistrat expert, en donnant aux audiences une portée pédagogique, et en soutenant les victimes tout au long du parcours judiciaire, la juridiction espère mieux protéger les familles, rompre les cycles de violences et prévenir les drames.
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