Actualités du monde

Bataille du silence dans les magasins britanniques

  • PubliĂ© le 28 aoĂ»t 2016 Ă  12:20
Nigel Rodgers devant un magasin Marks and Spencer sur Oxford Street à Londres le 18 août 2016

Les oreilles de Nigel Rodgers souffrent : il fait campagne depuis des décennies contre la musique d'ambiance et se trouve devant un magasin de la principale artÚre commerciale de Londres, Oxford Street, qui crache les décibels d'une tonitruante musique pop.


"C'est aussi nocif que le tabagisme passif", dit M. Rodgers, 63 ans, blazer bleu et pochette rouge, fixant la sortie du magasin. "Ça pourrait rendre fou n'importe qui".
Mobilisé depuis 24 ans contre la musique de fond omniprésente dans les lieux publics et les magasins britanniques, son association, Pipedown, vient de décrocher un premier grand succÚs.
La chaßne Marks and Spencer a annoncé qu'elle allait cesser de diffuser de la musique dans ses magasins à la suite de l'envoi de lettres par des centaines de membres de Pipedown, qui en compte 2.000.
Le groupe espÚre maintenant arriver à convaincre les autres grands détaillants de lui emboßter le pas, grùce aussi à ses organisations relais aux Etats-Unis et en Allemagne, ainsi que des contacts pris en France.
Rodgers se sent visiblement mieux en sirotant un thé dans la cafétéria de Marks and Spencer, tout prÚs d'Oxford Street.
- Masquer d'autres bruits -
D'une voix posée, il explique comment la mécanisation de la société a augmenté le volume dans le monde moderne, avec des retombées négatives telles que problÚmes d'audition ou hausse de la tension artérielle.
"Nous vivons en permanence dans un environnement bruyant", dit-il. "Nous sommes artificiellement stimulés tout le temps, ce pour quoi notre organisme n'est pas fait".
Auteur de livres sur l'histoire de l'art et la philosophie, Nigel Rodgers a fondĂ© Pipedown Ă  l'Ăąge de 38 ans, frustrĂ© par la musique d'ambiance dans un restaurant oĂč il dĂźnait avec son amie. Le groupe n'a depuis cessĂ© de grandir et mĂšne des campagnes en envoyant des lettres ou en distribuant des tracts aux employĂ©s dans les magasins pour se plaindre --poliment bien sĂ»r-- de la musique d'ambiance.
"Ce n'est pas le problÚme de deux ou trois névrosés, c'est un problÚme beaucoup plus grave", souligne Rodgers. "Les comportements peuvent changer trÚs vite, j'espÚre que la décision de Marks and Spencer va marquer un tournant", dit-il, sursautant légÚrement au bruit d'assiettes qui s'entrechoquent.
Pour les professionnels du secteur en revanche, la musique de fond aide à améliorer l'environnement dans les magasins.
Adrian England, de PEL Services, qui fournit de la musique à une série de grandes chaßnes de magasins, affirme que le silence met certaines personnes mal à l'aise. "Sans musique, vous entendez les disputes, les enfants bruyants, toutes sortes de bruits que la musique masque", dit-il à l'AFP.
- Augmentation des ventes -
Les magasins aiment offrir à leurs clients deux ou trois genres de musique différents et changent le rythme au cours de la journée, doux le matin, dynamique le soir.
Le but est atteint lorsque les clients ne rĂ©alisent mĂȘme pas qu'il y a de la musique, selon lui: "C'est le paradoxe. Si vous faites ça bien, les clients ne s'en rendent pas compte, ils ne vont pas faire de compliments, mais ils ne vont pas se plaindre non plus".
Adrian North, professeur Ă  l'universitĂ© Curtin en Australie, a enquĂȘtĂ© sur l'impact de la musique sur la consommation et estime que peu de magasins l'utilisent convenablement pour communiquer avec leurs clients.
D'aprÚs ses recherches, diffuser la "bonne" musique dans un environnement commercial peut augmenter les ventes jusqu'à 20%. Une musique inadaptée "est pire que pas de musique du tout", assure-t-il.
A Oxford Street, oĂč se pressent les touristes par une belle journĂ©e d'Ă©tĂ©, les acheteurs sont partagĂ©s face aux magasins diffusant de la musique trĂšs fort.
"Ça me demande plus d'Ă©nergie d'entrer dans ces magasins, j'ai tendance Ă  les Ă©viter", dit Martin Persson, un SuĂ©dois de 34 ans, devant le magasin de chaussures qui a Ă©corchĂ© les oreilles de Rodgers.
Mais Zyad al-Shoeeb, un jeune Saoudien de 22 ans, apprĂ©cie les rythmes martelĂ©s Ă  plein tube en choisissant des vĂȘtements dernier cri, une nouveautĂ© pour lui. "La musique va bien avec les chaussures, elle m'aide Ă  acheter plus vite!", assure-t-il.

Par Glenn CHAPMAN - © 2016 AFP
guest
0 Commentaires