L'animal est menacé d'extinction

Le pangolin au Liberia: "On le tue, on le mange, les écailles on les vend"

  • PubliĂ© le 6 mars 2022 Ă  02:57
Le pangolin apprécié au Liberia pour sa viande au goût de sucre et pour ses écailles recherchées en Asie. A Gbarpolu county, le 14 novembre 2021

La nuit, hors saison des pluies (de mai Ă  octobre), armĂ© d'un fusil Ă  canon unique et d'un coupe-coupe, Emmanuel part en chasse dans le nord du Liberia. C'est l'heure oĂč le timide pangolin sort fouiller dans le bois mort Ă  la recherche de fourmis et de termites.

De la taille d'un gros ragondin, l'animal couvert d'écailles, aux petites pattes griffues, dépourvu de mùchoire et de dents, est aussi plus facile à débusquer dans la pénombre, explique-t-il, parce que la lumiÚre de la lampe frontale se reflÚte dans ses yeux.

Emmanuel, 58 ans, cultive la banane plantain et le poivron dans un village du district de Gbarpolu, à cinq heures de la capitale Monrovia par une piste cahoteuse. Mais c'est en chassant qu'il gagne de l'argent, le singe et surtout le pangolin. Si ses dix enfants ont pu aller à l'école, c'est à son fusil qu'ils le doivent, dit-il.

Seul mammifĂšre Ă  Ă©cailles, menacĂ© d'extinction sur toute la planĂšte, l'animal est apprĂ©ciĂ© au Liberia pour sa viande au goĂ»t de sucre et pour ses Ă©cailles recherchĂ©es en Asie oĂč elles sont utilisĂ©es pour la mĂ©decine traditionnelle.

Depuis que la principale source d'approvisionnement a cessĂ© en 2013 d'ĂȘtre l'Asie, en raison du dĂ©clin des effectifs, l'Afrique en est devenu le premier fournisseur, selon l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime. Provenances principales: Nigeria, Cameroun, GuinĂ©e et Liberia.

Parmi les plus braconnés au monde, le pangolin est protégé depuis 2016 au Liberia, pays pauvre d'Afrique de l'Ouest meurtri par presque 14 ans de guerre civile et les séquelles de la maladie à virus Ebola.

Mais pour Emmanuel et bien d'autres dans les villages reculĂ©s de la forĂȘt tropicale qui couvre le nord du pays, oĂč les journalistes de l'AFP ont pu faire une rare mission, le braconnage est autant un moyen de subsistance qu'un mode de vie. "On le tue, on le mange, rĂ©sume Emmanuel pour l'AFP. AprĂšs, les Ă©cailles, on les vend."

- Terrain favorable -

La Convention sur le commerce d'espÚces sauvages menacées d'extinction (Cites) a interdit en 2016 le commerce international des pangolins, dont certains types figurent sur la liste rouge des espÚces menacées d'extinction de l'Union internationale pour la conservation de la nature (IUCN).

Mais les écailles de cet animal, présent uniquement en Afrique et en Asie, continuent d'alimenter un ample trafic mondial. La Chine et le Vietnam en sont trÚs demandeurs car elles y sont réputées agir sur l'arthrite, les ulcÚres, les tumeurs et les douleurs menstruelles - des vertus jamais établies scientifiquement. Un kilogramme d'écailles se vendait 355 USD en Chine en 2019, plus de 700 USD au Laos en 2018, selon une étude de la fondation Wildlife Justice Commission basée à La Haye.

Des tonnes d'écailles ont été saisies par les agents des douanes à travers le monde ces derniÚres années. En juillet par exemple, la Chine en a saisi 2 tonnes.

Pour les trafiquants, le Liberia est un terrain propice. Plus de 40% du territoire est couvert de forĂȘts et la gouvernance y est faible. Le pays se remet de deux guerres civiles (1989-2003, 250.000 morts) et de la maladie Ă  virus Ebola (2014-2016, 4.800 morts).
Et la demande est forte. "Il y a des gens qui achÚtent, c'est pour ça qu'on vend", explique le chef chasseur d'un village, ùgé de la cinquantaine.

Des acheteurs Ă©cument les villages pauvres aux murs de torchis et aux toits de tĂŽle Ă  la lisiĂšre d'Ă©paisses forĂȘts, expliquent des braconniers dont les noms ne sont pas dĂ©voilĂ©s pour raison de confidentialitĂ©.

Localement, il se dit qu'il s'agit de LibĂ©riens qui fourniraient des intermĂ©diaires Ă  Monrovia. Le parcours de la marchandise s'obscurcit ensuite. L'annĂ©e passĂ©e, il ne s'en est quasiment pas vendu. Peut-ĂȘtre parce que la pandĂ©mie de Covid-19, dont le pangolin a Ă©tĂ© suspectĂ© pendant un temps d'ĂȘtre le vĂ©hicule, a ralenti le nĂ©goce.

En 2020, Pékin a interdit le commerce et la consommation d'animaux sauvages et retiré les ingrédients issus du pangolin de la liste officielle de la pharmacopée chinoise. Et Hong Kong, plaque tournante du commerce international des espÚces animales menacées notamment en raison de son port, a en août dernier fait du trafic d'animaux sauvages un crime organisé.

Un jeune homme dit quand mĂȘme avoir rĂ©ussi Ă  vendre des Ă©cailles ces derniers mois. Selon diffĂ©rentes sources au fait des tarifs, un petit sac d'Ă©cailles de plusieurs pangolins rapporte quelques dollars amĂ©ricains.

Vu le niveau de vie localement, c'est dĂ©jĂ  ça dans ce pays oĂč 44% des habitants vivent avec moins d'1,9 dollar par jour selon la Banque mondiale. L'argent sert Ă  acheter des produits de premiĂšre nĂ©cessitĂ© comme du savon, disent les mĂȘmes sources.

MĂȘme quand le trafic fait relĂąche, les villageois dĂ©busquent le pangolin pour sa chair. Dans l'un des villages oĂč s'est rendu l'AFP, une femme sort de sa maison avec un bĂ©bĂ© pangolin accrochĂ©e Ă  elle. Son mari a trouvĂ© le petit avec sa mĂšre deux jours auparavant. Qu'est-il arrivĂ© Ă  la mĂšre ? "On l'a mangĂ©e tout de suite", rĂ©pond-elle en riant.

- Des écailles partout -

PrÚs du marché Rally Market de Monrovia, un garde forestier répand ce jour-là du carburant sur un tas de viande confisquée aprÚs une descente musclée et gratte une allumette. Dans le brasier se consument des cadavres de singes et au moins un pangolin. Autour, des femmes se sont agrégées et c'est presque l'émeute. Comfort Saah est folle de rage: c'est l'équivalent de 3.000 dollars parti en fumée, dit-elle. Une fortune aux standards du pays. "Comment je vais faire pour envoyer mes enfants à l'école ? Comment je vais faire pour vivre", se lamente-t-elle.

Depuis que l'animal est protégé au Liberia, sa chasse et sa commercialisation sont passibles d'une amende de 5.000 USD et jusqu'à six mois de prison. AprÚs des années passées à tenter de sensibiliser la population, les services forestiers viennent seulement de lancer des opérations coups de poing.

"Tous les jours, des braconniers et des chasseurs tuent nos espĂšces protĂ©gĂ©es" pour un nĂ©goce qui "anĂ©antit notre patrimoine naturel", constate Edward Appleton, qui dirige l'unitĂ© de lutte contre les trafics au sein de l'autoritĂ© forestiĂšre. Mais il se heurte Ă  la conception utilitaire des animaux et Ă  des habitudes anciennes de consommation en zones rurales, oĂč peu de signes indiquent que l'interdiction de braconnage soit appliquĂ©e avec vigueur.

On trouve des Ă©cailles de pangolin Ă  peu prĂšs partout dans les trois villages du district de Gbarpolu oĂč s'est rendue l'Ă©quipe de l'AFP. De nombreux villageois en dissimulent chez eux dans des sacs en plastique plus ou moins remplis.

- "Presque la fin" -

PrÚs de 900.000 pangolins ont été vendus illégalement dans le monde entre 2000 et 2019, indiquait il y a un an l'ONG Traffic qui surveille les circuits de trafic illégaux d'animaux. Ses effectifs globaux à l'état sauvage restent en revanche un mystÚre, disent les spécialistes.
Mais le peu de données disponibles suffit pour craindre une forte régression. Le nombre d'individus tués a "vraiment, vraiment augmenté" ces derniÚres années, s'inquiÚte Phillip Tem Dia, un spécialiste du Liberia au sein de l'ONG londonienne Flora and Fauna International (FFI).

Selon l'Agence américaine de développement USAID entre 650.000 et 8,5 millions de pangolins ont été prélevés sur leur environnement entre 2009 et 2020 dans toute l'Afrique de l'Ouest.

Pour Matthew Shirley, co-prĂ©sident du groupe pangolins Ă  l'IUCN, il est "totalement irrĂ©aliste" d'attendre de gens pauvres de renoncer Ă  une source aussi riche de protĂ©ines. L'accent doit ĂȘtre mis sur la conservation, dit-il.

Mais le fait que le pangolin soit un animal solitaire, reclus, difficile Ă  nourrir et vite stressĂ© complique les efforts. Au refuge Libassa Wildlife Sanctuary, ouvert en 2017 prĂšs de Monrovia, on recueille des animaux sauvages confisquĂ©s Ă  leurs dĂ©tenteurs qui en avaient fait des bĂȘtes de compagnie ou les destinaient Ă  la boucherie.

Et on s'emploie à les rendre à la nature ou, quand cela n'est pas possible, à s'occuper d'eux jusqu'à leur mort. Mais beaucoup de pangolins meurent de stress en captivité, malgré les soins prodigués, explique la directrice du centre, la Belge Julie Vanassche. "Ce sont des animaux trÚs sensibles".

L'institution, la seule au Liberia à venir au secours des pangolins, en a relùché 42 dans la nature. Une goutte d'eau dans l'océan de la conservation. "Il faut agir vite, c'est presque la fin", lùche Mme Vanassche.

AFP

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1 Commentaires
fredb
fredb
3 ans

j'ai fait comme un rĂȘve... L'espece humaine s"Ă©teint Ă  99.90% et les survivants de retour Ă  l'age de pierre repeuple la terre. c'est ma thĂ©orie du grand bouleversement en guise de grand remplacement. ça finira bien par arriver. et c'est plutot optimiste de pensĂ© qu'un poignĂ©e survivront pour repeupler.