Brexit

Les pĂȘcheurs boulonnais se font un sang d'encre

  • PubliĂ© le 4 octobre 2020 Ă  16:24
  • ActualisĂ© le 4 octobre 2020 Ă  17:40
Des pĂȘcheurs sur le pont du chalutier dans les eaux anglaises de la Manche, le 28 septembre 202.

Dans la nuit noire, ils partent "taquiner la seiche": Pierre LeprĂȘtre, aux commandes de son chalutier, quitte le port de Boulogne-sur-Mer avec un Ă©quipage de quatre matelots, pour pĂȘcher dans les eaux anglaises de la Manche tant qu'ils le peuvent encore.

Le ciel et la mer sont couleur d'encre, accentuée par un crachin d'automne, la coque bleue et blanche du "Marmouset 3" et ses 19,20 mÚtres de long franchit l'écluse Loubet. La mer, un tantinet agitée, génÚre un roulis qui berce vigoureusement les matelots allongés dans leurs cabines.

Vers 05H00 du matin, plusieurs sonneries retentissent et Pierre LeprĂȘtre appelle par la radio de bord ses hommes d'Ă©quipage "Ă  filer". En un Ă©clair, les quatre hommes sont Ă  la manoeuvre pour dĂ©ployer le chalut et jeter leurs espĂ©rances Ă  la mer, calme dĂ©sormais.

Les tensions ressurgissent Ă©pisodiquement entre pĂȘcheurs français et britanniques depuis la dĂ©cision du Royaume-Uni de quitter l'Union europĂ©enne, notamment pour recouvrer sa souverainetĂ© sur les eaux poissonneuses oĂč vont pĂȘcher de nombreux pays voisins.

"En gĂ©nĂ©ral, ça se passe bien. Enfin, on fait en sorte que ça se passe bien", se reprend tout de suite Pierre LeprĂȘtre. "On a des groupes Whatsapp (avec les pĂȘcheurs britanniques), ils nous indiquent leurs points" de pĂȘche oĂč sont posĂ©s leurs casiers pour capturer les crustacĂ©s, afin d'Ă©viter de les endommager, explique-t-il.

Le Brexit est nĂ©anmoins dans toutes les tĂȘtes des pĂȘcheurs boulonnais: "la semaine derniĂšre, j'ai Ă©tĂ© tout le temps du cĂŽtĂ© anglais. S'il y a un +no deal+, je ne peux plus y aller", explique un brin anxieux M. LeprĂȘtre.

Les eaux britanniques constituent "70% à 80%" de son chiffre d'affaires. "Si on ne peut plus aller chez les Anglais, on peut mettre la clé sous la porte", ajoute-t-il, fataliste.

Vers 09H00, nouvel appel par la radio de bord, sonneries Ă  l'appui, "Ă  virer, Ă  virer", comprendre Ă  sortir le chalut pour compter le butin. Bilan de cette premiĂšre prise: 90 kilos de seiches, 15 kilos d'encornets, 20 kilos de rougets et une caisse de 20 kilos de maquereaux. "Pas extraordinaire", rĂ©sume Pierre LeprĂȘtre. "Je vais aller plus au sud, il y a un peu plus d'eau (un peu plus de profondeur) ce sera peut-ĂȘtre meilleur."

- "Fossoyeurs" -

"Le poisson suit toujours le mĂȘme trajet, dans le mĂȘme secteur Ă  la mĂȘme Ă©poque de l'annĂ©e", affirme M. LeprĂȘtre, cahiers de pĂȘche Ă  l'appui. Dans ces registres renseignĂ©s par son grand-pĂšre, puis par son oncle, et depuis 16 ans par lui, "on marque ce qu'on pĂȘche, les vents, la mĂ©tĂ©o", explique-t-il en manoeuvrant son chalutier d'Ă  peine trois ans, une fiertĂ© mais aussi une source d'inquiĂ©tude pour lui et son oncle, autre propriĂ©taire du bateau avec l'armement coopĂ©ratif Scopale.

M. LeprĂȘtre a investi prĂšs d'un million d'euros dans ce navire, pour une large part en empruntant sur 20 ans. "On a signĂ© la construction du bateau et 15 jours aprĂšs, le Brexit a Ă©tĂ© votĂ© par les Anglais. Si j'avais su, je n'aurais pas signĂ©, les enjeux sont trop importants."

Les marins boulonnais s'inquiĂštent aussi de l'appĂ©tit grandissant de leurs homologues nĂ©erlandais, des "fossoyeurs" de la ressource, selon M. LeprĂȘtre. Il peste contre l'obsession "du chiffre, du chiffre et du chiffre" de ses homologues bataves, dont les bateaux font en moyenne le double des chalutiers tricolores, estime-t-il.

Comme un pied de nez quelques minutes plus tard, paraĂźt Ă  quelques encablures le Scombrus, chalutier-usine gĂ©ant battant pavillon français mais financĂ© par des capitaux nĂ©erlandais, qui avait fait polĂ©mique lors de son baptĂȘme parmi les organisations environnementales et les artisans-pĂȘcheurs.

"Les Hollandais se sentent plus chez eux que nous chez nous, Ă  Boulogne", renchĂ©rit Christopher, matelot. "Quand ils auront tout pĂȘchĂ© en Manche, ils iront pĂȘcher ailleurs."

Le bateau rentre au port dans la nuit, aprĂšs une journĂ©e de pĂȘche qui aura durĂ© prĂšs de 24 heures. A bord, 1,7 tonne de produits de la mer dont 740 kilos de seiches. "Une journĂ©e moyenne" pour Pierre LeprĂȘtre, qui dĂ©pose tout cela Ă  la criĂ©e de Boulogne avant de repartir directement vers les eaux anglaises, la cale vide mais la tĂȘte toujours pleine de questions.

AFP

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