Pratiquer le ramadan dans une société non-musulmane, est-ce une chose difficile ? Pendant ce mois d'août, les Réunionnais de confession musulmane s'abstiennent de manger, de boire, de fumer, et d'avoir des relations sexuelles. Ils cherchent aussi à s'élever spirituellement, ce qui demande une présence plus accrue aux heures de prières et un recueillement plus important. Trente jours qui ne sont pas de tout repos, de surcroît lorsqu'on travaille et qu'on a des horaires pas forcément compatibles avec les moments de prière ou la rupture du jeûne. Si certains ont la possibilité d'aménager leur temps de travail, pour d'autres, la chose s'avère un peu plus difficile.
Il existe plusieurs catégories de travailleurs de confession musulmane qui font le mois de ramadan. D'abord, ceux qui possèdent leur propre commerce. En centre-ville de Saint-Denis, Yassine Moolant prépare et vend des samoussas, des nems, des catless ou encore des bouchons. Pas trop difficile de passer sa journée à faire à manger pour les autres, alors qu'on ne peut rien avaler avant 18h05 ? "Non", sourit-il. "Le ramadan, c'est une question de mental, ce n'est pas parce que les autres mangent devant moi ou que je manie la nourriture que je vais avoir faim. Généralement, c'est la soif et la chaleur qui sont un peu plus dures à supporter, mais comme on est en hiver, les journées passent vite", ajoute-t-il.Pendant ce mois d'août, Yassine a cependant aménagé ses horaires de travail. "J'ai pris deux semaines de congés, j'ouvre plus tard, à 10h, et je ferme plus tôt, à 17h, parce que c'est un mois qui demande beaucoup de piété. Pendant cette période, j'ai choisi de ne pas ouvrir le mardi aussi, parce que j'ai besoin de me reposer", confie-t-il. Concernant une éventuelle baisse de son chiffre d'affaires, il estime : "Ce n'est pas très grave. Durant le ramadan, on doit savoir se détacher de la corde matérialiste, on se dit que Dieu nous le rendra". Yassine a également envoyé l'un de ses employés, de confession musulmane, en congé. "Il faut savoir lever le pied. En tant que patron d'un petit commerce, j'autorise des vacances à mon employé, comme j'autorise des vacances pour ceux qui sont de confession chrétienne quand il y a les fêtes de Noël".
D'autres employés de confession musulmane ont des horaires de travail qui facilitent leur mois de recueillement. Mohammad fait partie de ceux-là. Commercial dans le sud de l'île, il choisit de commencer sa journée plus tôt pour terminer plus tôt : "Mes horaires sont d'ordinaire assez souples. En ce moment, je vais au travail à 7h30, je prends une pause à 13h pour aller faire ma prière, et je rentre chez moi vers 16h, ce qui me laisse un peu de temps pour me reposer, me recueillir en toute tranquillité, et pouvoir rompre mon jeûne à l'heure sans problème. De toute façon, mon chef est de confession musulmane, je peux m'arranger avec lui si jamais il y a un souci".
Du côté des chefs d'entreprise qui ne sont pas de confession musulmane, certains sont également tolérants quant aux horaires. "Pour moi, l'entreprise est un espace de collaboration. Personnellement, j'ai des collègues qui font le ramadan. Pour la relation harmonieuse de l'entreprise et le bien-être de mes employés, j'autorise une certaine souplesse au niveau des horaires", explique Dominique Vienne, chef d'entreprise dans le BTP. Il souligne par ailleurs : "Les bonnes relations et le vivre-ensemble priment à La Réunion, donc on essaye de s'arranger entre nous. Pour moi, c'est une question de bon sens. Après, ça dépend bien évidemment du type de travail demandé et de l'entreprise. Je pense que c'est à chacun de voir avec son supérieur hiérarchique s'il peut revoir l'organisation de son travail pendant un mois, ce n'est pas forcément une chose facile partout".
D'autres patrons sont aussi prêts à faire des concessions, même s'ils n'ont pas connaissance de problèmes particuliers. "J'ai des collaborateurs qui font le ramadan. Il n'y a pas de critiques, ni de plaintes d'une charge trop grande de travail, donc je ne fais pas d'aménagements spécifiques", indique Yann de Prince, chef d'entreprise. "Si un jour j'ai des demandes à ce sujet, je les prendrai en compte. On peut s'arranger, comme avec tous les employés qui ont des demandes particulières. Tant que ce n'est pas quelque chose d'extravagant comme travailler seulement trente minutes par jour, on peut trouver un terrain d'entente", assure-t-il.
Même son de cloche du côté de Jacky Balmine, représentant de la CGTR-BTP : "En 32 ans de travail dans le bâtiment, je n'ai jamais eu de remontée, syndicalement parlant, d'ouvriers de confession musulmane qui demandaient une adaptation particulière. Cependant, si un jour on me demande directement d'être un peu plus flexible sur les horaires ou sur la charge de travail, je n'hésiterais pas à aménager l'organisation du travail, parce que j'imagine que ça peut être pénible de travailler toute une journée au soleil alors qu'on ne peut ni boire ni manger".
Aménager ses horaires n'est pas si simple pour tous les employés. Zahira est adjointe-chef de caisse dans une grande surface du sud. Trois à quatre fois par semaine, elle sort du travail à 20h. "Je ne me plains pas, ce sont mes horaires de travail. Mais j'avoue que parfois, je suis un peu fatiguée. Si j'ai le temps, je prends une petite pause vers 18h pour pouvoir rompre mon jeûne. Mais quand il y a beaucoup de monde, c'est difficile de s'absenter, surtout quand on est en manque d'effectif. Dans ces moments-là, je suis obligée d'attendre de rentrer chez moi, c'est-à-dire vers 20h, pour pouvoir avaler quelque chose", raconte-t-elle. La Tamponnaise a quand même prévu de prendre des congés pour la dernière semaine du mois de ramadan. "Je le fais tous les ans, c'est pour moi le moment de me reposer un peu", confie-t-elle.
Abou Bakar, lui, est vigile au Port. Son travail l'amène de temps à temps à assurer des gardes de nuit. "Certains trouvent contraignant de travailler la nuit. Pour moi, ce n'est pas un problème, je fais ça depuis trois ans, j'ai l'habitude. Je prends mes fonctions vers 18h, donc je suis obligé de ramener des plats préparés pour casser mon carême. Et je repars vers 6h, après que le soleil soit levé, donc je commence aussi mon jeûne sur mon lieu de travail. Mais la nuit est plus calme que la journée, il y a moins de gens à gérer, c'est beaucoup moins fatiguant. J'ai un peu de temps pour me recueillir, je ne ressens pas la faim ni la soif, et j'ai toute la journée pour me mettre au repos après", explique-t-il.
Travailler en période de ramadan s'avère plus facile pour certains que pour d'autres, mais la plupart des musulmans s'accommodent de leurs horaires et de leur charge de travail, et cela même s'ils vivent dans une société non-musulmane.
Samia Omarjee pour
