Depuis 20 ans, on estime qu'environ 111 000 personnes sont illettrées ou analphabètes à la Réunion. Un chiffre inquiétant, qui stagne et aucun signe ne permet d'envisager une réelle amélioration. Echec du système scolaire? Formations inadaptées? Problèmes d'apprentissage propres à l'île? Doit-on continuer à parler d'illettrisme? Quelques pistes de réflexion sur un fléau qui exclut les gens et freine la société toute entière.
111 000 personnes ont des difficultés face aux savoirs de base en calcul, lecture et écriture à la Réunion. Certains parce qu'ils n'ont pas ou peu été scolarisés (les analphabètes au nombre de 11 000), d'autres malgré une scolarisation complète (les illettrés, au nombre de 100 000). Un chiffre inquiétant, d'autant plus qu'il ne semble pas baisser avec les années.La question de l'analphabétisation des adultes a commencé à préoccuper dans les années 70, avec la prise de conscience qu'une société " moderne " pouvait mal s'accommoder d'une frange aussi large de sa population qui ne maîtrise pas la lecture et l'écriture. Et depuis? Pas grand chose : le chiffre reste collé au plafond malgré les importants fonds qui sont alloués à différents organismes pour éradiquer le problème.
Pourtant, du côté du Carif-Oref (centre d'information sur la formation), on tient à tempérer ce sentiment. Une série de tests conduits par l'Insee à permis de mettre en évidence une différence entre les illettrés " déclarés " et les illettrés " réels ". " Autant l'écart entre le déclaratif et le testé était minime (de 1 %) en 1988, il s'est révélé autrement plus significatif en 1996 : 11 % d'écart ", indique-t-on. Par ailleurs, selon le niveau d'exigence aux tests, le nombre d'illettrés pourrait passer sous la barre symbolique des 100 000.
Les études faites par l'INSEE montrent également que " une grande partie des illettrés (45%), n'a fréquenté l'école que pendant une durée inférieure à dix ans voire cinq ans, c'est-à -dire moins ". Ce taux ayant tendance à baisser, le nombre de personnes illettrées devrait suivre la tendance.
Car le système éducatif réunionnais s'est développé bien plus tardivement que celui de la métropole : il faut attendre les années 60 voire 70 pour un accès de toute la population réunionnaise concernée à l'école. " Autrement dit, ce n'est que maintenant que le système réunionnais peut être considéré comme " similaire " à celui de la métropole ", poursuit-on du côté du Carif-Oref qui centralise les actions de lutte contre l'illettrisme.
Une analyse qui n'est pas partagée par Michel Latchoumanin, professeur en sciences de l'éducation et auteur d'un ouvrage sur le sujet*. " La réalité est que 3000 jeunes qui participent à la JAPD (journée d'appel et de préparation à la défense) sont illettrés. 55% d'entre-eux sont encore scolarisés. Malgré les importants moyens qui leurs sont donnés, les organismes de formation ne sortent que 1000 personnes par an de l'illettrisme. Cela fait un différentiel de 2 000. Le problème ne peut que s'aggraver ", explique-t-il.
Selon lui, c'est un grand coup de pied dans le système actuel de lutte contre l'illettrisme qu'il faudrait donner. " Un rapport montre que les APLI (ateliers permanents de lutte contre l'illettrisme) sont comparables à des fourre-tout entre 2000 et 2005. On y trouve des illettrés, des analphabètes non francophones non alphabétisés dans leur langue maternelle, des gens qui viennent sans projet... ", indique-t-il.
Il souligne également que 25% des jeunes qui arrivent au collège ont des difficultés avec l'écrit alors qu'ils sont sensés apprendre à lire à l'école primaire. Et de conclure : " ceux qui on en mains la responsabilité de réduire le problème ne sont pas à la hauteur de la mission qu'ils se sont octroyés ".
Pour sortir de cette situation, une première étape donc de rénover de fond en comble le système mais aussi d'arrêter de stigmatiser ces personnes qui ne maîtrisent pas l'écrit. Non qu'elles pourraient s'intégrer dans la société actuelle, mais simplement pour stopper la honte qui en résulte. D'abord : ne plus envoyer au collège les élèves qui présentent des difficultés de lecture.
" On identifie quelqu'un à partir de ce qui lui fait défaut. On a marginalisé des gens qui n'avaient pas honte de leur état ", poursuit le professeur. Au lieu d'illettrisme, lui préfère utiliser le terme, plus positif selon lui, de lutte pour la litteratie.
Car l'illettrisme reste un facteur d'exclusion majeur dans une société où l'écrit est de plus en plus présent. Sa maîtrise est aujourd'hui indispensable à des métiers qui pouvaient s'en passer il y a 20 ans. Pour les personnes qui ne savent pas lire, les possibilités d'emploi et d'intégration sont réduites. Et ça non, plus, ça ne devrait pas s'arranger.
Marine Veith pour
* Illettrisme ou litteratie, état des lieux et perspectives à l'île de la Réunion

Tant qu'on aura pas compris qu'il faut investir dans la maîtrise de l'écrit dès le plus jeune âge, notamment à l'école primaire, on aura du mal à résoudre le problème. On ne veut pas investir au niveau de la petite enfance et de l'enfance, d'ailleurs il n'y a pas de politique de lecture définie au niveau de l'île en ce sens. Après on injecte des millions dans des formations qui enrichissent les boîtes de formation qui n'arrivent pas sortir leurs stagiaires de l'illettrisme. On devrait investir massivement dans la prévention. Ca coûterait moins cher et ce serait plus efficace . Il serait temps de prendre le problème ainsi!