Vous connaissez Le petit Poucet de Charles Perrault, eh bien, Michel Serres vous propose sa version sous le titre Petite Poucette (82 pages, Editions Le Pommier, collection Manifestes, mars 2012).
Si le conte de Perrault met en scène la puissance de la petitesse face à la bêtise de l'ogre, Michel Serres, grand-père attendri et s'avouant dépassé, admire l'agilité des pouces des nouvelles générations à envoyer des messages tous azimuts. Le philosophe, inspiré par Hermès, le dieu grec messager (Mercure pour les Romains), nous invite à en tirer les conséquences. A cet égard, le sous-titre de l'ouvrage est explicite : " le monde a tellement changé que les jeunes doivent tout réinventer : une manière de vivre ensemble, des institutions, une manière d'être et de connaître... ".
Dès les premières pages, nous sommes plongés dans la longue liste des changements survenus ces dernières décennies. Ces changements, nous les constatons, les médias les évoquent ici et là, mais nous n'avons pas mesuré la somme de leurs effets. Même ceux dont la pensée est censée porter loin, les philosophes, sont accusés de ne pas avoir " entendu venir le contemporain ".
L'événement, c'est ni plus ni moins, la naissance d'un nouvel humain. " Il ou elle n'a plus le même corps, la même espérance de vie, ne communique plus de la même façon, ne perçoit plus le même monde, nie vit plus dans la même nature, n'habite plus le même espace ".
Le bouleversement, comparable à celui du Néolithique au Moyen-Orient ou de la Renaissance en Europe, a ouvert une large " crevasse " dont les deux bords n'ont plus rien de ressemblant. Inquiétant ? Non ! Car reste " la joie incandescente d'inventer " et le philosophe grand-père avoue envier les 18 ans de Petit Poucet et Petite Poucette qui ont tout à créer
L'école et la société sont particulièrement concernées par la nécessité d'un changement radical porté par les nouvelles technologies. En effet, comment, aujourd'hui, transmettre le savoir quand il est disponible partout tout le temps...sur un coup de pouce ? Conséquence, la voix du professeur émanant du point focal de l'estrade n'est plus entendue. De même, le pouvoir juché en haut d'une pyramide n'a plus guère de prise sur un public qu'il ne faut plus présumer incompétent et passif. Les appartenances mortifères éclatent et les lieux de rencontres et de mélanges se multiplient.
L'individu libéré se balade aussi bien dans le " connectif " que dans le " collectif " et, contrairement à Blaise Pascal, ne pense pas que la vérité de ce côté de la frontière est erreur de l'autre côté. Ouverte aux vérités des peuples du monde, Petite Poucette veut construire un " avenir de vie face à votre histoire et vos politiques de mort ".
Un joli conte ? Plutôt une invitation à abandonner nos vieux oripeaux mentaux et à faire confiance aux jeunes qui vivent déjà dans un monde nouveau.
Brigitte Croisier
Un vrai plaisir que la lecture de ces notes de...lecture de Brigitte Croisier. Une véritable incitation à se plonger dans les pages de ces ouvrages. Chaque commentaire renvoie par ailleurs à d'autres références culturelles, une façon de joindre l'utile à l'agréable en quelque sorte. Pour ma part, je vais de ce pas me procurer le livre de Serres, histoire de m'immerger dans le monde nouveau des jeunes.rnM.Y.