Et de un mercredi, puis de deux jeudi… En l’espace de moins de 24 heures, le gouvernement bat des records. Deux votes à l’Assemblée nationale et deux fois le 49-3 a été sorti de la poche (même plus secrète) du gouvernement. Un recours à ce 49-3 qui n’est sans doute que le premier d’une longue série. À croire que le seul moyen pour le gouvernement de faire passer ses projets de loi, c’est par la force. Élisabeth Borne commencerait-elle à dégainer des 49-3 aussi vite que l’on bat les cartes au casino ? Emmanuel Macron aurait-il peur de voir son autorité remise en cause ?
Pour ce qui est des projets ou propositions débattus à l’Assemblée, un seul recours à l’article 49-3 de la Constitution par session parlementaire est possible. Mais pour le projet de loi de finances et du budget de la Sécu, c’est « open bar ». Le premier d’Élisabeth Borne, a été utilisé le mercredi 19 octobre pour faire passer le budget 2023. Le second l'a été une journée à peine après pour le budget de la Sécurité sociale. Désormais, le gouvernement veut couper court à toute discussion possible. Le 49-3, c’est acté, c’est voté, hop, on passe à autre chose.

Nous faire croire que les discussions étaient ouvertes n’était-il pas finalement qu'un stratagème bien monté de la part de la majorité pour faire passer ces textes coûte que coûte ? Une vaste pièce de théâtre où tous savaient que le combat était perdu d’avance. ? Ou alors était-ce un moyen pour le gouvernement de ne pas apparaître comme les méchants de l’histoire aux yeux de l’opinion publique ?
Élisabeth Borne s’en défend. « Nous avons besoin » de cette partie recettes du projet de loi de financement de la Sécurité sociale car "sans elle, nous ne pourrions poursuivre le débat". Pour Olivier Véran, porte-parole du gouvernement, « le recours au 49-3 est tout l’inverse d’un aveu d’impuissance ». « Il n’y a jamais eu de débat aussi long au Parlement », a-t-il affirmé, répondant à l’opposition et évoquant « plusieurs dizaines d’heures » de débat.
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L’objectif d’Élisabeth Borne et de son gouvernement n’aurait-il pas été là plutôt de faire croire qu’un compromis avait été recherché entre les différents partis, mais que personne n'était d'accord ? Bien sûr, c’est toujours la faute des autres. Si nous étions dans leur tête, peut-être aurions-nous pu y entendre, « le 49-3 nous ne voulions pas l’utiliser mais nous n’avons pas eu le choix ».
Alors oui, il est vrai, la Première ministre n'a pas eu le choix. Mais pas par absence de compromis ou de discussion, plutôt en raison d'élus de la majorité qui ont brillé par leur absence. Comment gouverner si l’on n’a pas la majorité absolue ? Eh bien, grâce à l’article 49-3 de la Constitution.
Et ce n’est pas la première fois qu'un locataire de Matignon engage sa responsabilité à plusieurs reprises sur un si court laps de temps. Michel Rocard en a même été le recordman. En décembre 1989, il avait utilisé le 49-3 sur trois textes de loi différents en 24 heures.
Ce qui est d’autant plus étonnant, c’est qu’Emmanuel Macron, il y a de cela quelques années, appelait plus à la discussion et au débat qu’à l’utilisation du 49-3. Aurait-il oublié ses années 2015 où, alors qu’il était ministre de l’Économie, il n’avait guère apprécié le passage en force de sa loi, imposée par Manuel Valls ? Lui qui, à l’époque, voulait mettre en avant le fait que l’on peut dépasser les clivages droite-gauche pour faire adopter un projet de loi.
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La discussion budgétaire n’a donc concrètement servi à rien. Si habituellement on corrige un projet de loi, on y apporte des amendements, tout cela ici n’était que de la poudre aux yeux. Même la cinquantaine d’amendements votés à l’Assemblée ont disparu à coups de baguette magique avec l’application du 49-3, le gouvernement privilégiant sa version, ne gardant que les amendements qui l’arrange. Étonnamment, certains amendements de l’opposition, et pas les plus sensibles, ont eux disparus.
En fait, on pourrait se demander quel est l'intérêt d'une assemblée avec des débats si, au final, le gouvernement n’en fait qu’à sa tête et passe tout de même des textes qui divisent, tel un enfant qui ferait un caprice.
Après le bal des 49-3, c’est donc le bal des motions de censure qui a débuté. Des motions faites dans les 24 heures après le passage en force et qui ont pour but de renverser le gouvernement. Mais que le gouvernement et le Président se rassurent, personne ne pourra venir contester l’utilisation du 49-3, puisque de toute façon, les deux motions de censure n’avaient aucune chance d'aboutir, faute à une majorité suffisante.
Pour les élus, ces passages en force successifs ne sont que le signe d’un profond mépris de la part du gouvernement. « Deux 49-3 en 48h : bonjour le soi-disant débat, co-construction avec les Oppositions ! », se consterne Jean-Hugues Ratenon. « Ce gouvernement a donc décidé de museler le débat démocratique », ajoute le député. « Nous devons être la risée du monde entier quand nous nous présentons comme des champions de la démocratie, de la liberté et que dans le même temps ce gouvernement piétine ces valeurs fondamentales », ajoute-t-il.
Même son de cloche pour Karine Lebon, députée, « le déclenchement de l’article 49-3 est un aveu de faiblesse ». « Faiblesse car la majorité relative n’a pu trouver un accord avec les autres groupes politiques. Faiblesse car, lors d’amendements clés, certains groupes de la majorité ont voté contre l’avis du gouvernement. » « Certes, le 49-3 est un outil constitutionnel, mais il s’apparente parfois à un abus de pouvoir », souligne la députée. « le fait de sélectionner les amendements que l’exécutif choisit de garder ou pas est un contournement du pouvoir législatif et une tentative de bâillonner le parlement », ajoute-t-elle.
"Le Gouvernement aura donc attendu cette fois seulement 8h d'examen pour user du 49-3. Il ne fait même plus semblant d'être intéressé par ce que les représentants du peuple pourraient légitimement défendre", clame Philippe Naillet, député. « Parmi les 117 amendements, seuls 13 amendements sont des oppositions. Le tri des amendements n’est pas acceptable nous ne sommes pas au supermarché. Le 49-3 consacre le refus du Gouvernement d’être à l’écoute des oppositions », s’insurge-t-il.
Personne dans l’opposition ne souhaitait que le projet de loi soit passé en force. Ce lundi soir, alors que cela semblait mal parti pour rassembler les opposants, Marine Le Pen a finalement annoncé que le RN voterait la motion de censure de la Nupes. Un choix qui a particulièrement agacé la Première ministre. En répondant à Marine Le Pen, Élisabeth Borne a dit, "vos leçons de démocratie, je les trouve tout simplement indécentes". S'opposer à un passage en force serait donc "indécent", au contraire du 49.3.
Qu'Élisabeth Borne et le président se rassurent cependant, Les Républicains sont restés campés sur leurs positions et ont décidé de ne pas apporter leurs voix aux deux motions de censure, les menant toutes les deux à être rejetées. Hourra pour la démocratie.
Sous la Ve République, une seule motion de censure a été adoptée, en 1962, faisant tomber le gouvernement de Georges Pompidou.
En attendant, alors que le gouvernement mène une petite guéguerre sans fin avec l’opposition, les Français eux, observent de loin cette guerre digne du cours de récréation. Ce que veulent les Français, c’est de savoir quelles solutions seront proposées par l’exécutif pour répondre à leurs problèmes d’inflation et de pouvoir d’achat, pas de savoir qui de David ou Goliath sera le plus fort.
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