Violences urbaines

Mayotte "au bord de la guerre civile"

  • Publié le 23 novembre 2022 à 12:33
  • Actualisé le 23 novembre 2022 à 12:34

La situation est explosive depuis plusieurs mois, mais ces dernières semaines, l’escalade des violences n’en finit plus à Mayotte. Alors que les élus continuent d’alerter sur la situation, la députée Estelle Youssoupha a déclaré que l’île pourrait bien « basculer dans la guerre civile ». Pour tenter d’endiguer les violences, une équipe du RAID de La Réunion doit être dépêchée sur place. Sur place, certains décident tout simplement de quitter leur terre natale pour plus de sécurité. (Photo photo d'illustration RB imazpress )

« J’ai quitté Mayotte en juillet, après que mon père a décidé qu’il valait mieux que j’étudie à La Réunion pour être en sécurité » témoigne Sarah*, Mahoraise âgée de 20 ans. Après la montée des violences en juin dernier, elle s'est envolée pour La Réunion un mois plus tard.

Comme beaucoup de jeunes de son âge, elle a assisté à la flambée de violence sur son île."Les violences ont toujours existé, mais cette année, ça a pris une autre tournure. J’ai vu des bus caillaissés, des personnes gazées, des agressions au couteau, à la machette » liste-t-elle tristement.

Plusieurs jeunes personnes sont décédées des suites de violences survenues dans l’île aux parfums, dont un ami d’enfance de Sarah. « Quand je pense à la situation de Mayotte, j’ai surtout beaucoup de tristesse, surtout quand je pense à cet ami que j’ai perdu » confie-t-elle.

Mais au-delà de la tristesse, c’est aussi de la colère que la jeune femme ressent. « Les actions du gouvernement ne mènent à rien. Même avec l’augmentation du nombre de gendarmes, la situation ne se calme pas. Quand ils essaient d’interpeller quelqu’un, ils se font caillassés » témoigne-t-elle.

A ses yeux, un manque d’accompagnement flagrant se produit à Mayotte. « Les jeunes sont livrés à eux-mêmes, ils ont été abandonnés par leurs parents, par l’école, par les autorités. Beaucoup ont vu leur famille expulsées, et se retrouvent seuls à Mayotte, sans repère. Il faudrait un meilleur accès à l’éducation ou aux formations » estime Sarah.

- Renforcement de la présence des forces de l'ordre -

Face à la flambée des violences, une unité du RAID de La Réunion a été appelée à intervenir sur place, comme l’a annoncé Jean-François Carenco, ministre délégué aux Outre-mer à l’occasion du 14ème congrès des maires. Leur arrivée à Mayotte était prévue ce mardi.

Le maire de Mamoudzou, qui a approuvé l’envoi d’unités d’élites sur l’île, a demandé à ce qu’elles restent « jusqu’à ce que la République reprenne ses droits ». Il ne s’agit plus selon lui de juste « faire du maintien de l’ordre », « il faut les combattre, aller les chercher là où ils sont dans les bidonvilles, les quartiers reculés, les attraper et les traduire en justice », a-t-il plaidé.

Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a assuré ce mardi à l’Assemblée nationale, que « l’augmentation des moyens continue, pour rétablir la paix publique à Mayotte ». « Nous travaillons au renforcement des moyens militaires à Mayotte », a encore affirmé le ministre, pointant l’objectif d’« inverser la courbe de la violence » sur l’île.

- Des alertes à répétition -

Mi-octobre déjà, des maires et élus de Mayotte avaient alerté sur la violence « invivable » et croissante dans le département. La situation s’est encore dégradée dernièrement, avec de nouveaux épisodes de violences entre jeunes de quartiers rivaux.

À Mamoudzou, la plus grande ville de l’île, des conflits inter-quartiers ont fait un mort le 12 novembre, un jeune de 20 ans tué à la machette, et plusieurs blessés. Le quartier de Kawéni, d’où était originaire la victime, s’est d’ailleurs embrasé en milieu de semaine dernière, après l’attaque d’un bus scolaire.

Samedi 19 novembre, 200 à 250 jeunes issus de ce même quartier se sont réunis pour en découdre avec ceux de Doujani, un quartier plus au sud, a indiqué la police. Dimanche, un automobiliste a été poignardé à Mtsapéré Bonovo, un autre quartier de Mamoudzou. « Son pronostic vital est engagé », a indiqué une source policière.

Lundi soir encore, les forces de l’ordre ont tenté de tenir à l’écart plusieurs groupes qui voulaient s’affronter. Certains d’entre eux auraient alors agressé des usagers de la route, selon des témoins.

- Projectiles, barrages… -

Au sud de Mamoudzou, des policiers de la brigade anticriminalité (Bac) sont intervenus vers 20 h (heure locale) lundi 21 novembre, pour dégager un barrage. Dans le même temps, un groupe de jeunes cherchait l’affrontement avec les forces de l’ordre dans le quartier de Cavani.

Les affrontements ont donné lieu à des « jets de projectiles » sur les forces de l’ordre, des « dégradations de véhicules et de commerces », des « coupures de tuyaux d’alimentation d’eau » et l’incendie d’une casse automobile, selon une source policière. « Des habitants se sont armés de barres de fer et de machettes pour se défendre contre les bandes », a-t-elle ajouté. Des habitants, qui ont témoigné auprès de l’AFP, décrivent une violence « jamais vue ».

Un barrage en feu a par ailleurs été dressé par un groupe de personnes, vers 5 h du matin (heure locale) dans le même secteur. La circulation a été bloquée sur cet axe routier qui permet d’accéder à Kawéni, quartier regroupant la plus grande concentration d’entreprises et d’établissements scolaires ainsi que le plus grand bidonville du département selon une source policière.

- Les élus appellent à l’aide -

La députée de Mayotte Estelle Youssouffa a lancé, lors d’un point presse de son groupe parlementaire (Liot) ce mardi 22 novembre, un « cri de détresse » sur le « cycle de vendetta », de « barbarie et de terreur » sur l’île, dans « l’indifférence générale » à Paris.

« On parle de hordes de centaines de jeunes, la plupart d’entre eux des Comoriens en situation irrégulière, qui ont entre douze et treize ans, sont armés de machettes et qui sèment la mort », a-t-elle affirmé. « On se demande quand est-ce que trop c’est trop ? »

La députée de Mayotte a profité des questions au gouvernement à l’Assemblée nationale ce mardi pour relancer le sujet, parlant « de barbares en culottes courtes, armés, qui tuent, pillent et mettent notre île à feu et à sang ». « Quand allez-vous ordonner le déploiement de la Marine nationale pour protéger notre frontière ? » a-t-elle questionné.

Le maire de Mamoudzou, Ambdilwahédou Soumaila, a quant à lui déploré que « depuis 15 ans, Mayotte l’île aux parfums est devenue l’île aux enfers ».

www.imazpress.com avec l'AFP

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