L’île de Mayotte appartient historiquement et géographiquement à un archipel composé de trois autres îles : Anjouan, Mohéli et Grande Comores. De 1946 à 1975, les îles formant l’archipel des Comores constituent un seul et même territoire d’Outre-mer rattaché à la France. Fin de la colonisation en 1974, l’archipel accède à son indépendance tandis que Mayotte vote pour son maintien au sein de la République française qui, par ailleurs, souhaite garantir sa présence stratégique dans l’océan Indien. Le maintien de Mayotte sous l’autorité française a fait l’objet de nombreuses condamnations de la part de l'ONU qui rappelle chaque année que cette annexion n’a pas été reconnue par l'Organisation de l'Unité Africaine (OUA). (Photo d'illustration rb/www.imazpress.com)
Par-delà ces réalités qui font rupture, la circulation des populations et, surtout, des familles entre comoriens et mahorais s’est poursuivie, inévitablement et naturellement. Face aux résistances organisées de mouvements et collectifs mahorais, le gouvernement français a mis en place en 1995 une procédure de visa pour les Comoriens souhaitant se rendre sur l’île de Mayotte. L’obtention de ce visa étant ardue, les traversées, qui étaient jusqu’alors habituelles, sont devenues clandestines. Résultat, la migration illégale s’est développée. On estime à plus de 20 000 le nombre de personnes noyées depuis 1995.
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- Un territoire abandonné -
Depuis qu’elle est devenue le 101ème département français, le climat social n’a cessé de se dégrader, en lien avec un manque permanent de moyens structurels et de compétences, une précarité qui s’est généralisée, des tensions communautaires attisées par le pouvoir et des conflits autour de la problématique migratoire.
Depuis 10 ans, l’île vit au rythme des annonces et des promesses. La situation sociale, économique, sanitaire, institutionnelle, environnementales, sécuritaire, … est complètement chaotique, en lien direct avec :
- Des indicateurs significatifs (une croissance démographique exponentielle avec 900 hab. au km2, un retard dans les équipements, un manque criant de logements sociaux, de services et d’infrastructures, une immigration clandestine estimée à 48% de la population, un taux de chômage et d’illettrisme qui atteint des records, une offre de santé déficitaire, une exposition majeure aux changements climatiques, un déficit chronique et un turn-over des professionnels (dans l’éducation, les forces de l’ordre, les soignants, …), des milliers d’enfants livrés à eux-mêmes, sans soin ni éducation, sans famille, sans filiation et sans nationalité, des risques concernant la protection de la biodiversité, une raréfaction de la ressource en eau, etc.
- Des procédures défavorables : « visa Balladur », droit foncier partiellement structuré, desserte publique embolisée par une infrastructure défaillante, dotation insignifiante des transports, économie sous perfusion inadaptée aux besoins, gestion encore balbutiante des déchets, loi pour une immigration maîtrisée, durcissement du droit du sol et, très récemment, Mayotte a été évincée par la France de la COI (Commission de l'Océan Indien).
- Des pouvoirs publics dépassés par des phénomènes sociaux explosifs, de plus en plus fréquents et dangereux qui prennent l’aspect de véritables guérillas urbaines avec : des attaques à la machette, des affrontements inter-quartiers, des barrages, des attaques de bus et d’établissements scolaires, des agressions de minorités, des caillassages aussi brusques que violents, des vols y compris dans les villages ; le tout orchestré par des clans, des jeunes livrés à eux-mêmes.
- Wuambushu : la "reprise en main" -
L’opération Wuambushu sera déclenchée à partir du 21 avril 2023. Avec une mise en scène à grand spectacle, minutieusement orchestrée, tout laisse penser que notre ministre de l’Intérieur compte faire de Mayotte une terre d’expérimentation sécuritaire ! Au programme et pour une durée de 2 mois : chasse à l’homme de nationalité comorienne (mais aussi d’autres nationalités, certains venant de la région des Grands Lacs en Centre Afrique), interpellations et expulsions par bateau en direction des Comores (Anjouan) et destruction avec des bulldozers de bidonvilles. Des forces de l’Ordre, et leurs unités d’élite (RAID et GIGN), ont été massivement mobilisés pour permettre l’arrestation d’un maximum de personnes en situation irrégulière, au rythme de 250 à 280 par jour.
En tant qu’écologistes, nous ne pouvons accepter que la violence d’une telle opération constitue la réponse à la situation actuelle. Nous estimons que le sous-développement est maintenu à Mayotte de longue date par l’Etat français, qu’il faut sérieusement questionner le fond, la racine, considérer ce département comme un territoire à part entière au sein de notre République. La surpopulation, la misère, l’insécurité, le chômage, la pression migratoire durent depuis très longtemps et sont comme installés dans une fatalité.
Quel est donc notre niveau d’humanité ou d’inhumanité ? La question de la migration clandestine est bien politique. Les réponses du ministre de l’Intérieur sont là pour marquer les esprits en vue de contrer l’impact du RN ou d’épouser de fait ses idées ? et de faire croire à une vraie fausse efficacité de court terme. Elle fait de ces personnes les boucs émissaires d’une vision politique héritée du XIXème siècle. Elle sert de cache misère d’une politique qui refuse de prendre à bras le corps les problèmes.
Ces réponses violentes structurent les représentations de la jeunesse et la manière dont demain celle-ci construira son rapport à l’autre : la loi de la violence, qui commence malheureusement à se répandre sur Mayotte et explique aussi l’appréhension de la population. Voilà qui nous permet d’entrevoir la poudrière que constitue Mayotte.
Pourtant, la France a signé la Convention Européenne des Droits de l’Homme interdisant les expulsions collectives des étrangers, lesquelles désignent « toute mesure contraignant des étrangers, en tant que groupe, à quitter un pays, sauf dans les cas où une telle mesure est prise sur la base d’un examen raisonnable et objectif de la situation particulière de chacun des étrangers qui forment le groupe » (art. 4, protocole 4 du 31 août 2022).
Au lieu de conduire un vrai diagnostic pour évaluer les situations au cas par cas et déployer les moyens nécessaires, donc de construire une réponse adaptée, non violente, intelligente, sociale et géopolitique, par ce genre de réponse la France enkyste encore un peu plus une situation qui ne pourra que se dégrader dans le temps. C’est une évidence, une telle réponse traduit un simplisme politique qui révèle les ‘talents’ d’un homme manœuvrant pour son compte, usant des moyens de sa fonction pour tracer sa route et non celle du bien commun, de l’avenir, de l’humanité.
- Faire société ?-
Mayotte se présente actuellement comme un territoire sous-développé pourtant confronté au défi majeur de faire société dans un tel contexte d’inégalités, de violences, d’injustices. Sa population souffre d’un état ancien de délaissement dont les conséquences sont désormais majeures. La responsabilité de cette situation incombe directement et exclusivement aux choix politiques qui ont été faits. Plus exactement de ceux qui justement n’ont pas été faits.
Les besoins de ce département doivent être identifiés, évalués et partagés :
- Connaître les causes de la migration clandestine (pauvreté des Comores et de Madagascar, mauvaise qualité des services publics de santé et d’éducation dans les pays voisins, atteintes aux droits humains, …) et agir sur le plan géopolitique
- Soutenir les infrastructures sanitaires et refuser toute discrimination dans l’accès aux soins du fait de la nationalité des demandeurs
Consolider les services de PMI et du Planning Familial pour permettre de développer des actions d’éducation, de sensibilisation, de prévention.
- Investir massivement dans la construction des écoles pour permettre la scolarisation de tous les enfants vivant sur l’île
- S’engager dans une politique de construction de logements décents pour installer les familles vivant dans des conditions indignes
- Prendre en considération les personnes originaires des Comores qui souhaitent s’installer dans les régions qui manquent de main d’œuvre et les autoriser à travailler dans les secteurs d’activités en régularisant leur permis de séjour et de travail.
- Considérer la dimension géopolitique du problème en structurant une démarche de fond, respectueuse des droits de l’homme, avec Les Comores.
- Position des écologistes -
Commission des Outre-mer, Commission Mer et Littoral, Commission Transnationale et Commission Immigration
Nous, écologistes soucieux de la dignité des personnes, condamnons cette opération qui a déjà commencé semant la panique, clivant les communautés, stigmatisant et écrasant les plus fragiles, les plus démunis ;
Nous écologistes, attachés aux valeurs de notre République, condamnons la violence de l’Etat français qui poursuit son œuvre de colonisation en divisant les populations, en distillant la haine, tout en laissant croire à la magie d’un coup d’éclat salvateur, libérateur, définitif !
Nous écologistes, alertons l’ensemble de la population mahoraise et les pouvoirs publics sur les conséquences humanitaires et sociales prévisibles, peut-être irréversibles, de la brutalité de la méthode Darmanin.
En conséquence, EELV exige l’arrêt immédiat de l’opération Wuambushu et demande un plan Marshall pour les Comores et Madagascar, la mise en place dans l’urgence d’une commission parlementaire. Celle-ci aura pour mission d’évaluer la situation dans sa globalité, de faire des préconisations adaptées à la situation actuelle de crise, et de dégager un accord-cadre avec l’état des Comores.
Bruno GAVARRI et Geneviève PAYET
Secrétaires Commission des Outre-mer