Un message qui inspire

"Tu dois ĂȘtre heureux", le graffiti qui interpelle les habitants de La Havane

  • PubliĂ© le 11 janvier 2025 Ă  02:57
Des Cubains marchent devant le graffiti "Necesitas ser feliz" (Tu dois ĂȘtre heureux) du graffeur cubain Mr. Sad, Ă  La Havane, le 12 dĂ©cembre 2024 ( AFP / YAMIL LAGE )

Depuis plus d'un an, un graffiti simple et percutant a fait son apparition sur les murs de La Havane: "Necesitas ser feliz" (Tu dois ĂȘtre heureux). Le message, innocent en apparence, ouvre un champ d'introspection pour les passants, voire d'inspiration pour d'autres crĂ©ateurs.

L'auteur, qui a adoptĂ© le surnom de "Mr. Sad", est un sociologue de 27 ans. Il joue sous anonymat avec les limites de la rĂ©bellion dans un pays oĂč la censure a contraint de nombreux adeptes du street-art Ă  Ă©migrer ou Ă  abandonner leur art.

Pour le graffeur, la phrase est une invitation à l'introspection. "Mon intention est juste de créer un miroir pour que les gens aient l'opportunité de prendre un moment pour voir ce qu'il y a en eux", explique à l'AFP le jeune homme, qui se dit inspiré par la tradition de propagande visuelle que Cuba cultive depuis les débuts de la révolution castriste de 1959.

Pour lui, les slogans révolutionnaires qui marquent depuis des années l'espace public de l'ßle de 10 millions d'habitants, tels que "La patrie ou la mort, nous vaincrons", ont peu à peu perdu leur lien avec l'identité actuelle des Cubains.

Au début de la révolution, dans les années 1960, "Cuba est devenu l'étendard de la contre-culture", explique-t-il devant un de ses graffitis peint à l'intérieur d'un immeuble en ruine dans l'ouest de La Havane, qui fut jadis une élégante tour d'appartements surplombant la mer.

"La société a évolué, elle ne s'identifie plus à ce qui se passe dans l'espace public" de la ville, et les jeunes ont commencé à l'occuper différemment, souligne-t-il.

Pour lui, l'intention était claire dÚs le départ: transformer son message en un "impératif", en "un ordre mais aimable" car, pense-t-il, les Cubains sont tellement habitués aux ordres "que seul un ordre peut attirer l'attention".

Sur des murs d'immeubles, des panneaux de signalisation, des vitrines dĂ©saffectĂ©es, la phrase est peinte au stylo, Ă  la bombe, Ă  la peinture ou au pochoir, et a Ă©tĂ© reprise sur des autocollants et mĂȘme des T-shirts.

- "Malgré les problÚmes" -

Le graffiti à Cuba est apparu au début des années 2000 comme une réponse aux besoins d'une société en mutation, explique l'artiste. Cependant, certains graffeurs ont été confrontés à l'hostilité et à la surveillance des autorités, car le graffiti, rappelle Mr. Sad, est avant tout une forme de rébellion.

Parmi ces artistes, l'un d'entre eux, désormais en exil, signait "2+2=5", en soi une marque d'irrévérence, tandis que ses oeuvres se caractérisent par des personnages masqués qui observent la société depuis des coins de rue. Un autre, Yulier P., est à Cuba mais ne peint plus.

Tous deux ont Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©s et, selon leur tĂ©moignage, contraints de recouvrir certaines de leurs oeuvres murales de peinture blanche. Quelques unes sont cependant toujours visibles dans la capitale.

Malgré cela, Mr. Sad préfÚre travailler de jour, en choisissant des lieux trÚs fréquentés comme les gares routiÚres, avec une calligraphie simple, presque scolaire, qui interpelle immédiatement ceux qui la lisent.

La phrase de M. Sad a trouvĂ© un Ă©cho et a inspirĂ© certaines personnes Ă  prendre des dĂ©cisions importantes, comme fuir des violences domestiques, aborder les questions d'identitĂ© de genre ou mĂȘme renoncer au suicide, explique le graffeur, qui dit avoir reçu de nombreux tĂ©moignages sur ses rĂ©seaux sociaux.

Lilian Moncada, 22 ans, et Erika Santana, 23 ans, sont deux cinéastes indépendantes, autrices d'un court-métrage intitulé justement "Necesitas ser feliz", présenté récemment lors d'une exposition de la Biennale de La Havane.

Dans le film, une femme, jouée par Erika, fuit la traque de ses pensées les plus sombres à l'intérieur d'un vieil immeuble de La Havane qui, pour les autrices, n'est rien d'autre qu'un cerveau.

La protagoniste, qui passe son temps Ă  "lutter contre ses propres dĂ©mons", a eu besoin de "lire et d'Ă©couter +Tu dois ĂȘtre heureuse+", explique l'actrice qui s'est fait tatouer la phrase sur l'avant-bras.

Pour Lilian Moncada, "nous avons le droit d'ĂȘtre heureuses, de regarder vers l'intĂ©rieur et d'aller de l'avant, malgrĂ© les problĂšmes" qui secouent l'Ăźle, traversĂ©e par une profonde crise Ă©conomique depuis quatre ans.

AFP

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2 Commentaires
gran'Kolon
gran'Kolon
11 mois

et la notion de droit bien sur, "nous avons le droit d'ĂȘtre heureux", voilĂ  un humain de son temps. Aucun devoir, mais des droits dont celui de rĂ©clamer le bonheur dans un pays qui brule. C'est tellement humain. PensĂ©e aux animaux non humains de Cuba et au vivant, sans l'humain, c'est trop lĂ , c'est Ă  vomir autant de connerie.

gran'Kolon dedan
gran'Kolon dedan
11 mois

poah! la puissance! prends ça le capitalisme! ça va faire des vagues. ça me rappelle un artiste de la Rome antique qui taguait "non c'est fini plus jamais ça". on voit tjrs l'impact aujourd'hui de ce message fou de créativité et d'opposition. il fallait qu'un sociologue se pointe et hop, de nouveau, chgmt radical!
ĂȘtre heureux quand la nature brule pour l’humain autocentrĂ© c'est une prioritĂ©, Ă©videmment, en tout cas le summum de ce qu'il peut faire pour l'autre.