À Antananarivo, les manifestations initiées par les jeunes de la Gen Z Madagascar se poursuivent depuis le 27 septembre 2025. Né sur les réseaux sociaux avant de gagner la rue, ce mouvement dénonce les conditions de vie des Malgaches, la corruption, la pauvreté mais aussi les violences policières. Camille, 22 ans, étudiante en Lettres, et Elliot, 31 ans, entrepreneur, racontent pour Imaz Press le quotidien d’une jeunesse malgache décidée à reprendre son destin en main. Entretien (Photo AFP)
Comment le mouvement Gen Z Madagascar est-il né et depuis quand vous mobilisez-vous ?
Camille : Je faisais partie des tous premiers manifestants. J’étais présente quand le premier groupe a été créé sur Instagram. En fait, on m’a "recruté" sur Tiktok parce que j'y créais du contenu dans lequel je dénonçais ce qui se passe à Madagascar et critiquais le gouvernement. La co-créatrice de Gen Z Mada et moi on s'est vite entendus et me voilà aujourd'hui faisant partie du mouvement.
Elliot : Je suis présent depuis le 25 septembre dernier. J'ai d'abord participé de manière passive en allant voir les manifestations avec des amis mais sans vraiment être dans la lutte. Mais dès le lendemain j'ai activement rejoint le mouvement et aujourd'hui j’aide aussi dans l'organisation et dans la préparation des mobilisations avec les groupes de terrain.
- "Même la nourriture est avariée" -
Quelle est la situation sur le terrain ?
Elliot : Déjà je peux parler de la situation du pays avant les événements. J’ai toujours vécu à Madagascar : je suis né ici, j'ai grandi ici, j’ai passé mon bac ici et j’ai quitté l'île uniquement pour aller étudier à Sciences Po Paris. Depuis mes 18 ans, je suis revenu quasiment tous les 2 ans mais cette année, j’ai décidé de rentrer pour de bon. La situation a quelque peu changé mais l'état des routes est de pire en pire. Avant, on allait de Tana à Tamatave en 4 heures environ. Aujourd’hui, il faut entre 12 et 14 heures, pour parcourir seulement 400 km.
La distribution en eau potable et en électricité s'est également détériorée. Avant, on pouvait à peu près boire l’eau du robinet, mais maintenant l’eau est boueuse et on se demande parfois si elle n’est pas souillée par des matières fécales ou autre... Même la nourriture devient avariée du fait de l’accès difficile à l’eau et l'électricité. Le délestage entraîne des pannes de frigo, cela impacte fortement la santé des Malgaches. On ne compte plus les intoxications alimentaires.. même chose dans les restaurants.
Camille : Pour ma part, je suis partie de Madagascar en 2021 et je suis revenue tous les ans environ. En 2024, je suis rentrée pour une année de césure et j’ai été choquée par l’état du pays. Je trouve que tout empire chaque année : il y a de plus en plus de personnes à la rue... beaucoup d'enfants, surtout dans la capitale. On observe aussi davantage d'insécurité.
- "Dénoncer et lutter contre la corruption à Madagascar"
Elliot : Depuis 2009, ça n'a fait que dégringoler. La justice est à deux vitesses. Des personnes sont injustement déférées au parquet et finissent dans l'une des pires prisons du monde à Tsiafahy (située à 30 km au sud d'Antananarivo, ndlr). Faute d'une justice impartiale, certaines sont oubliées là-bas. Alors qu'ils devaient rester 3 mois, ils y sont depuis 5 ans.
L’accès à l’emploi est aussi très compliqué. À Madagascar, le taux de chômage des jeunes est très élevé et beaucoup se tournent vers l’informel. Certains vont essayer de se faire de l'argent sur les réseaux tels que mym et only fan et d'autres intègrent des réseaux illégaux.
Justement, face à cette situation, quelles sont les demandes principales de la Gen Z actuellement ?
Camille : Nous défendons plusieurs revendications et elles évoluent en même temps que le mouvement. Chaque jour, des choses s’ajoutent ou se modifient. Les premières (et principales) revendications sont l'accès à l’eau et l’électricité. Ce n'est pas normal de subir 6 à 8 heures de coupure dans la journée.
Puis, quand le mouvement a grossi, on a commencé à dénoncer la corruption et le système qui entretient la précarité à Madagascar. En parallèle, on s'est également soulevés face aux violences des forces de l'ordre. Nous demandons un réel changement. C'est une révolution qui est nécessaire car la situation dure depuis trop longtemps et ces manifestations nous redonnent espoir.
Elliot : Ce que nous demandons, ce sont les besoins de base pour la population. Nous luttons contre les inégalités et surtout face à la justice qui est partiale. La corruption est généralisée et encore plus présente dans les hautes sphères. Nous dénonçons également les violences extrêmes et exigeons la fin de la tuerie. Nous demandons que notre droit de manifester soit respecté.
Est-ce que vous avez des propositions concrètes pour résoudre ces problèmes ?
Elliot : Il faut des solutions sur le court, moyen et long terme car certains problèmes sont longs à résoudre. Concernant l'électricité, des solutions existent au sein même de l’entreprise nationale qui gère sa distribution à Madagascar. Il faudrait par exemple rendre les centrales plus autonomes.
Il faut réformer les institutions mais les réformes, ça prend du temps. La première chose qui permettrait de changer la situation : améliorer les routes. Cela faciliterait le transport des matériaux et ferait marcher l’économie du pays. L'éducation supérieure et la recherche doivent être mises en avant.
Concernant la gouvernance, je pense qu'il est important de faire honneur à la fonction d’homme ou femme d’État. Il faut décentraliser un maximum et s'organiser de manière plus locale avec les "fokontany" (subdivisions administratives de base au niveau des communes à Madagascar, ndlr). Il faut aussi redonner un sens à la communauté qui est d'ailleurs au centre même de la culture Malagasy.
- "Assainir les villes afin d’augmenter la qualité de vie des habitants" -
Camille : Il faut assainir les villes afin d’augmenter la qualité de vie des habitants. J'aspire à devenir professeur de Lettres, alors l’éducation c’est très important pour moi. On devrait avoir une vraie réforme du système d'éducation, notamment sur la place qu’on donne aux Malagasy. Il faut revoir les infrastructures et prioriser l’accès à l’école primaire pour les enfants. Finalement, il faut éduquer les plus jeunes pour améliorer leurs chances de réussir.
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Pouvez-vous raconter une journée type depuis le début des manifestations ?
Camille : Le matin, je me réveille et je regarde tout de suite les infos et les groupes de discussions. Dans les premiers jours, j’étais collée à mon téléphone pour suivre tout ce qui se passait. C'est une guerre d'information après tout. Depuis le début du mouvement, les journées sont en dents de scie et pour ma part, tout est rythmé par rapport aux avancées de la lutte : des jours je suis heureuse, d’autres je n’en peux plus. Mon quotidien se résume à m’informer, informer les autres, suivre ce qui se passe et relayer. Et je dois faire tout ça depuis le terrain, en courant pour éviter de se faire gazer.
Elliot : Mes journées sont ponctuées et rythmées par les manifestations, les descentes dans la rue et l’organisation pour l’appui des personnes. Je m'active à aider ceux qui sont blessés mais aussi accompagner les personnes qui se font intimider. Souvent on commence vers 11 heures jusqu’à 15 heures puis, place aux échanges jusqu’à 17 heures. Là, on discute entre manifestants et on essaye de trouver des solutions ensemble. Aujourd'hui, ma vie ne tourne plus qu’autour de ça.
- Etre vus sur les réseaux sociaux pour "tous les yeux soient braqués sur Madagascar -
Quel rôle joue internet et les réseaux sociaux dans cette lutte ?
Elliot : Les réseaux sociaux sont importants. Le mouvement a commencé sur les réseaux : ça a commencé par des messages échangés puis partagés. Mais on est vite descendu dans la rue et là aussi, on a utilisé les réseaux pour se coordonner, s'entraider et s'organiser.
Camille : Avant le 25 septembre notre plan était d’inonder les réseaux sociaux en mentionnant un maximum de médias nationaux. On a fait des vidéos des manifestations pour informer le plus possible, mais aussi pour être protégé. On voulait que tous les yeux soient braqués sur Madagascar.
Comment les forces de l’ordre se comportent-elles ?
Camille : Le 25 septembre, c’était grave. Je suis persuadée que le fait d’avoir médiatisé les manifestations nous a permis d’être encore là aujourd’hui.
Elliot : Lors des manifestations du 9 octobre dernier, je me suis fait arrêter. Je suis sorti rapidement grâce à la mobilisation de ma famille. Ma soeur m'a reconnu sur une vidéo et a compris ce qui se passait. Elle a donc appelé ma mère pour m'aider. C'est grâce aux réseaux sociaux qu'on a pu sortir de Fort Duchêne où est basée la gendarmerie maintenant. Si tout ça avait été relayé par les médias traditionnels, le mouvement aurait été invisibilisé. Ils sont complètement contrôlés par l’État alors il n'y aurait pas eu de débat, tout le monde serait allé en prison et c’était la fin.
Comment vous assurez-vous que les chiffres ou informations que vous diffusez sont vérifiés ?
Camille : On relaye beaucoup les arrestations et les décès. Et si on n'a pas de chiffres officiels, on fait en sorte de tout filmer. On a les images alors on sait ce qui se passe et on partage tout sur les réseaux sociaux. On ne peut pas nier les morts et les blessés quand on a des preuves. En face, le gouvernement fait de la manipulation médiatique. Le rapport de force est inégal, mais on y arrive quand même.
- "Il y a beaucoup d’espoir chez les jeunes de la Gen Z" -
Quel est le niveau de soutien local que vous ressentez ?
Camille : On constate que certains artistes ou certaines personnalités politiques tentent de s'emparer du mouvement. D'autres, bien intentionnés, relayent nos informations sur les réseaux. Si sur le terrain, le soutien ne se voit pas forcément, tout coup de pouce médiatique est bon à prendre dans cette guerre d’information. Ces partis politiques et artistes contribuent à rendre le mouvement visible.
Elliot : On voit quelques images sur les réseaux sociaux. Pour certaines figures politiques il s'agit clairement de récupération et de notre côté, on essaye de filtrer. À ceux qui nous soutiennent sur les réseaux sociaux, il faut descendre avec nous, dans la rue. C'est comme ça qu'on ira vers le changement.
Je tiens particulièrement à remercier les familles, la diaspora et les communautés locales. Ils nous aident énormément et cette solidarité est cruciale. Un grand merci pour leur soutien économique et leur contribution à la réflexion.
Quels sont vos espoirs à court et / ou long terme ?
Elliot : Il y a beaucoup d’espoir chez les jeunes de la Gen Z Madagascar. On a quand même réussi à faire démissionner un gouvernement qui était en place depuis plus de 8 ans. On bénéficie de plus en plus de soutien de la part de différentes strates de la société. Mais on a aussi besoin d’une solidarité de la communauté internationale. La lutte continue. Elle est en bonne voie et je suis persuadé que les choses vont changer très prochainement.
Camille : J’ai bon espoir que le peuple malgache se réveille. Je ne pense pas que les événements actuels soient causés par la génération Z mais nous avons plutôt révélé une situation insoutenable. Toute cette manipulation, cette violence... ça a toujours été là mais c’était caché. Avec ces manifestations je me dis que le peuple va se rendre compte que ce quotidien n’est pas normal et constater le vrai visage du gouvernement.
- "Ne pas craindre l'essoufflement" -
Avez-vous des craintes quant à la durabilité du mouvement ?
Camille : Certains jours, j’ai peur que la motivation baisse. La seule situation dans laquelle ça pourrait s’essouffler, c’est de faire du sur place mais chaque jour il y a de nouvelles informations alors j'y crois. Tant qu’il se passe des choses, positives ou non, ça nous permet de maintenir et renforcer le mouvement.
Elliot : Il y a eu des crises cycliques à Madagascar. En 2009 ça a duré 3 mois, en 2002 6 mois. Là on n'en est qu’à quelques semaines du mouvement. La lutte se poursuit et chaque acte violent ravive la colère chez les gens. Je ne pense pas qu'il faille craindre un essoufflement. J’espère simplement que notre victoire arrivera vite afin qu'on puisse se mettre réellement au travail pour faire avancer le pays.
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