Lentilles canadiennes traitées aux pesticides : La Réunion en importe, en consomme, mais sans risques

  • Publié le 5 décembre 2025 à 07:10
lentilles

En sachet ou en boîte, à La Réunion, les lentilles font partie des ingrédients les plus fréquemment consommés. Si l'île produit ses propres lentilles à Cilaos, la disponibilité n'étant pas suffisante, elles viennent souvent du Canada. Hugo Clément, journaliste à "Sur le Front" a dévoilé dans son émission que ces lentilles provenant d'outre-Atlantique sont cultivées avec des pesticides interdits en Europe. Selon les marques péi, il n'y aurait aucun risque, les limites maximales de résidus fixées par la réglementation européenne dans les produits vendus localement, n'étant pas dépassées (Photo sly/www.imazpress.com)

La polémique récente sur certaines lentilles canadiennes met en lumière des questions de résidus de pesticides (notamment glyphosate, diquat…) utilisés comme déssechant en fin de culture, avec des niveaux qui ont conduit à des alertes et rappels de produits en France.

Le glyphosate, substance active de plusieurs herbicides, avait été classé en 2015 comme "cancérogène probable" par le Centre international de recherche sur le cancer de l'Organisation mondiale de la santé.

Dans son émission, Hugo Clément dévoile les images d'un avion qui survole les champs de lentilles en épandant des pesticides.

"Pour récolter les lentilles, il faut qu'elles soient sèches. Si en France on a un truc qui s'appelle l'été, au Canada, comme il ne fait pas assez chauf, il asperge de produits chimiques", lance le journaliste. Écoutez.

À la fin de l'épisode, les tests réalisés sur les lentilles canadiennes vendues à La Réunion montrent des résidus de pesticides interdits d'utilisation de l'Union européenne - le diquat - et de glyphosate.

Le procédé est apparemment encadré par l'Agence de règlementation de lutte antiparasitaire du Canada.

- Des lentilles traitées aux pesticides et des seuils limites revus à la hausse en France -

Dans sa vidéo, le journaliste Hugo Clément explique que, "si nous avons autant de lentilles du Canada dans nos rayons, c'est suite à un accord de libre-échange qui permet à ces lentilles d'entrer sur le marché européen avec 0% de droits de douanes".

Il précise que "les lentilles arrivent avec des seuils en-dessous des seuils autorisés" en termes de diquat.

Toutefois, sur d'autres sachets analysés par "Sur le front", le glyphosate dépasse les limites légales en France. L'Union européenne fixe un seuil réglementaire limite à 0,1 milligramme par litre d'eau. Dans la vidéo, le représentant d'un lobby canadien avoue avoir fait pression pour que ces seuils soient modifiés.

Le 11 novembre 2025, le député Édouard Bénard a interpellé la ministre de l'Agriculture sur l'importation de produits agricoles en provenance du Canada contaminés par des pesticides dont l'usage est interdit au sein de l'Union européenne (UE), et en particulier pour la production de lentilles sèches"

L'élu demande "quelles mesures entend prendre le gouvernement au plan national, ainsi qu'au niveau des instances européennes, afin de protéger la santé des consommateurs français aujourd'hui exposés, via leur alimentation, notamment de lentilles et autres légumineuses, à des pesticides interdits d'emploi au sein de l'Union européenne".

- Des lentilles du Canada vendues à La Réunion -

À La Réunion, la marque Royal Bourbon confirme à Imaz Press, que ses lentilles "proviennent du Canada". "C'est aujourd'hui l'un des principaux producteurs mondiaux qui représente autour de 50% des exportations mondiales et l'un des rares pays capables de fournir des volumes réguliers et stables."

La marque rassure : "toutes nos matières premières sont contrôlées avant utilisation. "Les analyses que nous réalisons systématiques confirment qu'il n'y a aucun dépassement des limites maximales de résidus fixées par la réglementation européenne, qui est parmi les plus strictes au monde", précise-t-elle.

"Les lentilles que nous utilisons sont donc parfaitement conformes", confirme Royal Bourbon.

Soleil Réunion, vendeur de grains en conserve, a indiqué ne pas pouvoir "répondre favorablement à votre demande".

Toutefois, elle précise avoir "depuis plusieurs années, une gamme de lentilles de Cilaos en conserve mais la production agricole reste bien inférieure à la demande, ce qui impacte également le prix au champ et la répercussion sur la conserve", précise la marque péi.

Outre le Canada, la grande majorité des lentilles consommées sur l’île est importée, "via l'Hexagone et directement de pays tiers (notamment le Canada, mais aussi d’autres bassins comme l’Inde ou l’Océanie, selon les gammes et les marques) et ponctuellement, des origines régionales (Madagascar...) dans certaines gammes de légumineuses", précise la Chambre d'agriculture.

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- Les lentilles de Cilaos, pas suffisantes pour répondre à la demande à La Réunion - 

La marque Royal Bourbon – qui fabrique des conserves de haricots depuis plus de 40 ans - explique se fournir au Canada, car à La Réunion, "nous n'avons pas de filière suffisante pour répondre à la demande et les productions locales sont très limitées".

"Nous avons essayé de nous sourcer en Hexagone mais les variétés cultivées ne correspondent pas à nos besoins.  Ce n’est donc pas un problème de prix, mais une question de disponibilité de la bonne variété", dit le représentant de la marque réunionnaise située à Bras-Panon.

Les lentilles de Cilaos elle, "sont en volume trè faible et avec des coûts de production élevés. Il n'y en a donc pas assez et le produit final serait beaucoup trop cher pour nos clients", justifie la marque Royal Bourbon.

- La lentille péi, une petite filière sous tension mais en plein essor -

La production locale ne couvre qu’une part très minoritaire de la consommation réunionnaise de lentilles.

C’est "une production de terroir, portée par un peu plus d’une centaine de producteurs sur le cirque, pour des volumes de l’ordre de quelques dizaines de tonnes par an seulement (environ 50 tonnes certaines années, avec des pics possibles autour de 70–100 tonnes selon les conditions climatiques)", indique Éric Lucas, technicien à la Chambre d'agriculture.

"Nous sommes sur une filière de niche, à forte valeur ajoutée mais très fragile, davantage en recherche de stabilisation et de sécurisation qu’en plein essor au sens quantitatif."

Une filière avec une forte dépendance au climat, aux pressions sanitaires (champignons type sclérotinia, etc.), avec de petites surfaces, un travail très manuel, des coûts de production élevés et une fragilité économique des exploitations. "On a vu récemment des baisses de récolte importantes, avec une production estimée autour de 45 tonnes sur certaines campagnes, vécues comme une véritable catastrophe par les agriculteurs", interpelle Éric Lucas, responsable de cellule diversification végétale.

En parallèle, la filière bénéficie de soutiens publics (Département, Région, État) et de projets structurants : aides spécifiques "filière lentilles", projet de Maison de la lentille à Cilaos, avec une volonté de mieux valoriser le produit et son origine.

Face à cette concurrence, "les producteurs de Cilaos n’essaient pas de jouer sur le volume ou le prix de masse. Leur réponse est principalement : la montée en gamme, qualité gustative reconnue, la mise en avant de l’origine (cirque de Cilaos, production pays, circuits courts, restauration locale, événements comme la Fête de la lentille) et la structuration collective au sein de l’Association des producteurs de lentilles de Cilaos, avec un travail sur la traçabilité pour éviter les fraudes (reconditionnement de lentilles importées vendues comme "Cilaos", déjà dénoncé)", ajoute le technicien à la Chambre.

La Chambre d’agriculture accompagne cette démarche avec un soutien technique, un travail sur la qualité, la gestion des risques climatiques et sanitaires et plaidoyer pour une meilleure reconnaissance et rémunération de cette production locale.

ma.m/www.imazpress.com/[email protected]

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