Une profession en pleine crise

Désamour avec les patients, colère contre l’Etat, surcharge de travail : les médecins au bord de la crise de nerfs

  • Publié le 2 décembre 2022 à 10:31

Cabinets fermés, stéthoscopes rangés, blouse raccrochée… Les médecins généralistes font grève. Des médecins qui réclament une revalorisation de leurs honoraires et refusent le projet du gouvernement de donner la possibilité de déléguer à des non-professionnels certains actes médicaux. Des médecins qui, souvent, sont la cible du désamour de leurs patientèle. L’attente interminable dans les cabinets et pour les prises de rendez-vous ainsi que le traitement désinvolte des patients par certains praticiens sont les raisons premières de cet état de fait. (Photo : rb/www.imazpress.com)

« J’ai dû récemment prendre rendez-vous chez mon médecin généraliste pour différentes prescriptions médicales. Je n’ai pu avoir un rendez-vous que six jours plus tard », témoigne Juliette. Elle explique, « après avoir réalisé les analyses prescrites, j’ai dû reprendre rendez-vous avec mon médecin : il n'avait pas de créneau avant dix jours ». « Je n’ai heureusement rien de grave et je peux me permettre d’attendre, mais il est inquiétant de devoir patienter autant de temps pour un rendez-vous en médecine de ville », ajoute-t-elle.

Eva, elle, doit patienter près de deux heures chez son gynécologue pour son rendez-vous. « Il ne me prend généralement jamais à l’heure », dit-elle. « J’ai beau avoir des rendez-vous le matin ou l’après-midi le problème est récurrent. » « Une fois en consultation, cette dernière dure 10 minutes et c’est terminé. »

Maryse, sexagénaire, a elle aussi vécue une expérience décevante chez son médecin généraliste. « Il faut dire les choses comme elles sont, si beaucoup de médecins sont soucieux de leurs patients, certains se fichent totalement des personnes », s’insurge-t-elle. Elle garde encore « en travers de la gorge » le traitement réservé à l'une de ses tantes par un praticien généraliste. « C'est une personne âgée ne s'exprimant qu'en créole. Elle est entrée seule dans le cabinet du médecin. Elle y est restée moins de 10 minutes. Elle est ressortie avec une longue liste de médicaments mais sans aucune explication sur son état de santé », relate Maryse. « Lorsque je lui ai demandé ce que le docteur lui avait dit, ma tante a répondu ‘li pa di ryen’ Je lui ai dit "tu ne lui as rien demandé ?" et elle m'a dit, un peu perdue, "‘zafèr komsa i domann pa doktèr’", s'emporte-t-elle.

"Je pense que c'est au médecin de se rendre compte que son patient n'est pas à l'aise et de prendre le temps de lui expliquer son état de santé. S'il ne le fait pas, c'est tout sauf un médecin", ajoute Maryse.

Malheureusement, des expériences comme celles que Maryse et Juliette ont vécu, nombreux nous les relatent. Pourtant, les médecins généralistes aiment ce qu’ils font, c’est plus qu’un métier, c’est « une passion », proclame Christine Kowalzyck, médecin à Saint-André et présidente de l’Union régionale des médecins libéraux.

- La médecine, un secteur en pleine crise -

Pour la médecin, il est vrai que ces situations peuvent arriver, mais non pas par désintéressement du patient, mais plutôt parce que les médecins généralistes ont un carnet bien rempli, voire même trop.

« Il y a un vrai malaise dans notre secteur », déclare Christine Kowalzyck. « Nous sommes le guichet des plaintes pour le public et malheureusement, s’occuper des certificats pour des aides sociales ou pour des absences d’une journée pour un étudiant, ce n’est pas notre rôle », souligne-t-elle. « Avec tous ces actes administratifs on n’a plus le temps pour le patient. »

Un avis que rejoint le Docteur Fabrice Darmon, président de l’association Med Run Effect, représentant les cabinets de garde à La Réunion, « les soignants sont épuisés, il y a une vraie dégradation du système de santé en général, des charges administratives plus lourdes et moins de temps pour soigner les patients ». Des cabinets qui ont d’ailleurs fait grève récemment pour dénoncer leurs conditions de travail.

Autre pression et non pas des moindres à laquelle sont confrontés les praticiens, c’est l’attente des patients. « Tout le monde veut avoir le même rendez-vous, chacun se dit plus fragile que l’autre, mais qui est plus urgent, le mal-être, la femme enceinte, la personne handicapée ? » « On ne peut pas faire de filtre », indique Christine Kowalzyck.

Mais il est vrai que les gens disent attendre très longtemps dans les cabinets. « Les patients disent attendre longtemps mais ils sont reçus », dit-elle. « À titre de comparaison en métropole c’est 4 à 5 jours d’attente. »

« On comprend que les patients veuillent que cela aille plus vite mais justement on bride la capacité de la médecine à s’organiser », déclare le Docteur Fabrice Darmon. « On a des solutions mais également des contraintes règlementaires qui nous empêchent de travailler correctement. » « Nous n’avons pas les outils pour être plus fluide », ajoute-t-il.

Toutefois, Christine Kowalzyck reconnaît que certains patients peuvent éprouver un certain désamour face à leur médecin généraliste. « Il y a des patients pas contents, mais la force de la médecine libérale c’est des gens et personnalités différentes. On ne peut pas plaire à tout le monde, sinon ce serait être orgueilleux, certains préfèrent des médecins empathiques, à l’heure, ou encore plus paternaliste. »

Des médecins qui, pour certaines, connaissent des journées à rallonge pour honorer tous leurs rendez-vous et patients malades. « Le mal-être nous retombe dessus. » Sur ce point, les médecins ne semblent pas être entendus par le gouvernement. « On parle de droits et de devoirs du médecin. Niveau devoir on a été là pendant la crise Covid, et ce, même sans masque », ajoute la médecin.

« Les patients ne se rendent pas compte qu’on aimerait passer plus de temps avec eux », dit-elle. « Quand je vois le carnet le matin je me dis oh lala, mais je peux répondre à toutes les demandes », ajoute la médecin. « Quand je vois le flux continu je me dis, faut pas que je lâche. »

Lire aussi - "Mouvement historique" des médecins libéraux pour "sauver" leurs cabinets

- Des praticiens sous pression -

La communication des données entre spécialiste et médecine générale est également un problème que soulève le Docteur Christine Kowalzyck.

Des soucis qui s’accumulent, une pression en constante augmentation, voilà aussi les raisons de la grève des médecins.

Des médecins qui veulent « d’une médecine plus humaine et pas d’une médecine low-cost », déclare le Docteur Fabrice Darmon, président de Med Run Effect. « On veut la reconnaissance de notre travail, et cela passe aussi par la revalorisation des actes. »

Autre souci auquel la médecin est confrontée, c’est l’accès à des spécialistes. « Quand on connaît des confrères on peut avoir un accès rapide, mais pour le milieu hospitalier c’est plus difficile », déclare Christine Kowalzyck. « Parfois, il nous faut 48 heures pour avoir un spécialiste », dit-elle.

48 heures, cela reste toutefois un délai long pour les médecins généralistes, mais un délai que les patients aimeraient également avoir pour prendre rendez-vous chez un spécialiste.

- Rendez-vous chez un spécialiste : des délais toujours plus longs -

Françoise a eu la malencontreuse expérience d’attendre très, très longtemps pour avoir un rendez-vous chez son spécialiste. « Lorsque je dois prendre rendez-vous chez mon dermatologue, je dois m’y prendre cinq mois à l’avance. De plus, ma dermatologue se trouve à Saint-André, alors que je vis sur Sainte-Marie », dit-elle. « J’étais prêt à faire plusieurs kilomètres pour avoir un rendez-vous le plus rapidement possible pour résoudre un problème médical », souligne Françoise.

Gynécologues, ophtalmologues, dermatologues, ORL… en moyenne, il faut attendre plus de deux mois pour avoir un rendez-vous, un véritable parcours du combattant, surtout quand on a une urgence.

Si l’accès à un médecin est difficile pour certains, le temps d’attente pour avoir un rendez-vous chez un spécialiste est encore plus long.

Si le temps d’attente est long, il l’est également pour les médecins spécialistes qui font face à ce qu’ils appellent de nombreux « lapins », des patients qui ne prennent rendez-vous et ne viennent pas.

« Quand les gens ne viennent pas au rendez-vous c’est compliqué », déclare Christine Kowalzyck. Des « lapins » non payés et qui surtout pénalisent les patients qui eux, n’arrivent pas à trouver un rendez-vous.

Anna Kolbe, dermatologue nous explique son quotidien. « Notre difficulté majeure, c’est l’absentéisme. » « Dans une journée, sur trente rendez-vous, je dois en avoir au moins six qui ne viennent pas sans s’excuser », déplore-t-elle. Elle y voit là un possible rôle « des plateformes où les gens s’inscrivent sur plusieurs agendas ». Si la plateforme Doctolib en question a déclaré essayer de faire des choses, « pour le moment il, n’en est rien ».

Une absence de patients qui joue un rôle dans la difficulté de pouvoir prendre un rendez-vous. « J’ai des rendez-vous entre un et deux mois parfois trois », dit-elle. « Les urgences sont quant à elles gérées par les médecins généralistes qui nous appellent directement après avoir évalué la situation », ajoute la dermatologue.

Outre l’absentéisme, le manque de spécialiste est également pour beaucoup dans la difficulté de la prise de rendez-vous. « Il n’y a pas assez de spécialistes », déclare une gynécologue de l’île. La raison, « On n’a pas formé de médecin depuis très longtemps et le temps d’attente entre la fin du diplôme et l’installation est parfois très long ». La faute pour elle au numérus clausus instauré par le gouvernement il y a plusieurs années. Un numérus instaurant une sélection en fin de première année de médecine. Un texte qui, depuis 2020 a été supprimé.

Cependant, ont duré des années de non formations de médecins qui ne se rattrapent pas comme cela. L’absence de spécialiste est une réalité. Une absence qui crée « un véritable malaise et un burn out chez les spécialistes en poste ». De plus, elle note que « les médecins ne font plus comme avant, ils travaillent trois jours par semaine et font primer leur cadre de vie ». À titre d’exemple, elle souligne que dans le Sud de l’île, « Nous avons perdu huit gynéco-obstétricien en cinq ans ». « Qui on met à la place s’ils ne sont pas formés ? », clame-t-elle. « On ne peut pas inventer un médecin en quatre ans ».

- Études de médecine : une voie qui peine à recruter -

De ce fait, face à la charge de travail, de nombreux jeunes ne veulent plus s’orienter vers le cursus médecine.

« La jeune génération voit les médecins et se dit c’est compliqué », souligne Christine Kowalzyck. « C’est dur il est vrai, mais on aime notre métier, on est des gens passionnés, mais maintenant les jeunes recherchent une qualité de vie et pour eu la médecine c’est une responsabilité énorme », dit-elle.

Ce manque d’attrait pour la profession inquiète. « Dans les années à venir on risque de manquer de médecins », note Christine Kowalzyck. « Il y a la contrainte du temps, la contrainte administrative, celle de gérer une entreprise, vérifier les cartes, les droits… », des contraintes ne poussent pas les jeunes à s’installer.  

Un système de soin en grande souffrance, des médecins épuisés, des patients dans l’attente… Pour les professionnels pas besoin de grandes réformes mais que l’État les entende et collent à la réalité.

Alors Monsieur le ministre de la Santé et de la prévention François Braun, vous qui étiez à La Réunion il y a peine trois jours, les professionnels de santé attendent des réponses.

Lire aussi - Grève des médecins libéraux: un "coup de semonce" pour "sauver" la profession

ma.m/www.imazpress.com/redac@ipreunion.com

guest
0 Commentaires