Les syndicats entre colère et inquiétude

Éducation : après six mois au ministère, Gabriel Attal laisse un goût amer derrière lui

  • Publié le 10 janvier 2024 à 12:50
  • Actualisé le 10 janvier 2024 à 14:43
Visite de Gabriel Attal

Alors qu'il y a encore quelques jours il préparait sa rentrée comme les élèves de l'Hexagone – la rentrée étant le 22 janvier à La Réunion – Gabriel Attal a été propulsé à la tête du gouvernement ce mardi 9 janvier 2024. Après seulement six mois au ministère l'Éducation nationale, Gabriel Attal fait ses cartons et déménage à Matignon. Et alors que de nombreux chantiers sont en cours au cœur d'un des ministères les plus importants, c'est un goût amer que le nouveau chef du gouvernement laisse derrière lui. S'il a assuré "amener" avec lui "la cause de l'école", l'inquiétude règne du côté des syndicats (Photo d'illustration : rb/www.imazpress.com)

Lutte contre le harcèlement, uniforme, redoublement, nouvelles modalités du baccalauréat… Le jeune ministre a ouvert beaucoup de dossiers lors de son bref passage au ministère de l'Éducation nationale.

Mais voilà, ce qu'il reste désormais de son poste à l'Éducation nationale, c'est surtout "un passage éclair", déplorent les syndicats enseignants.

Des réformes "oui", mais "qui va lui succéder ?". "Est-ce que son successeur poursuivra cela?". "Que va-t-il advenir des mesures annoncées ?". De nombreuses questions restent en suspens au lendemain de sa nomination.

Lui (Gabriel Attal) l'assure, "J’emmène avec moi, ici à Matignon, la cause de l’école. Je réaffirme l’école comme étant la mère de nos batailles, celle qui doit être au cœur de nos priorités et à qui je donnerai, comme premier ministre, tous les moyens d’action nécessaires pour sa réussite. Elle sera une de mes priorités absolues dans mon action à la tête du gouvernement."

- L'Éducation comme "marche-pied" -

Pour les syndicats, ce poste n'a été qu'"un marche-pied" pour le nouveau titulaire de Matignon.

"Macron tente ainsi de ré-itérer sa démarche de rupture de 2016 en livrant à l'opinion publique une image de jeunesse et de dynamisme, la faible expérience de gouvernement de Gabriel Attal lui étant indifférente, de même sa très faible connaissance des dossiers éducatifs n'avait pas constitué un obstacle à sa nomination au ministère de l'EN. Du coup, ce poste lui a juste servi de tremplin pour Matignon, les personnels et les élèves apprécieront !", critique Marie-Hélène Dor, secrétaire départementale de la FSU.

D'autant qu'avant sa nomination, Gabriel Attal était en visioconférence avec les chefs d'établissement. L'occasion certainement de leur adresser un dernier au revoir avant d'officialiser son nouveau titre.

Lors de cet échange, Gabriel Attal leur a dit – tout en connaissant déjà sa nomination – "Quelles que soient les évolutions à venir, vous me trouverez toujours à vos côtés".

Lui-même qui avait déclaré le 20 juillet 2023 lors de sa nomination à l'Éducation, "ce ministère, on n’y entre pas par calcul, par intérêt, par stratégie. Ces fonctions, on ne peut les prendre qu’avec envie et passion".

Lire aussi - Un nouveau Premier ministre pour une ligne politique inchangée

- Les syndicats gagnés par la colère et l'inquiétude -

À La Réunion – et alors que la rentrée scolaire n'a pas encore eu lieu  - les syndicats sont inquiets.

"Cette nomination peut être une belle promotion pour monsieur Attal et nous lui souhaitons bonne chance. Cependant, du côté des personnels de l’Éducation Nationale, nous sommes en colère et inquiets", lance Éric Dijoux du syndicat SE-Unsa.

En colère, "car il y avait bien un double discours de l’ancien ministre, entre ses annonces pour faire avancer et l’école, et on le voit aujourd’hui ses ambitions personnelles".

"Nous avons besoin d’un vrai ministère, placé au plus près des attentes des collègues : confiance, qualité de vie au travail et liberté pédagogique. En colère, car une fois encore, après avoir fait des propositions, on change de Ministre, quelles seront les nouvelles directives ? garderons-nous la même feuille de route ?", se demande Éric Dijoux.

"Pour tenter de se sortir de l'impasse dans laquelle il s'est mis lui-même à coup de 49.3, de réformes anti-sociales, de provocations et de mépris, le président Macron propulse son poulain à Matignon", lance quant à elle Marie-Hélène Dor.

"Il s'agit d'une opération de communication clientéliste déjà employée il y a quelques mois quand le même bon petit soldat Attal avait obtenu le portefeuille de l'Education nationale. D'ailleurs, il laisse dans son sillage un train de réformes toutes toxiques pour le système éducatif (voie professionnelle, collège...) et directement inspirées par Macron lui-même. Donc, pas de changement à attendre à ce niveau."

"La stratégie est claire : contenter l'électorat de droite et d'extrême-droite avant les élections européennes et 2027 en point de mire. Toutes les mesures prises par Attal en tant que ministre de l'Éducation nationale étaient déjà très orientées politiquement : uniformes, polémique sur l'abaya, groupes de niveaux en collège, destruction de la voie pro... il est donc probable que la politique en matière d'éducation continue à être passéiste et réactionnaire", déclare Éric Annonier de Sud Éducation.

Pour Pierre Fourny du Snes-FSU, "5 mois et 13 jours c'est violent d'un point de vue institutionnel. Il n'a pas de bilan. Il a fait de la communication".

"Qui va mener à bien les lignes directrices de Gabriel Attal ?", se questionne le syndicaliste. "Est-ce que l'école est une variable d'ajustement ? Personne pour prendre le poste de Premier ministre alors on prend un fidèle haut dans les sondages et ça tombe sur l'Éducation nationale."

"En deux ans on a quatre ministres. C'est affligeant et donne un coup au moral pour la profession, notamment après la maltraitance du ministre Blanquer", ajoute-t-il.  "La crise démocratique, politique, est profonde. Attal part en laissant l'Éducation nationale dans une crise profonde."

- De nombreux dossiers à la charge de son successeur -

"L’acte éducatif est un cheminement long et complexe qui ne peut pas reposer que sur des effets d’annonce, il faut des actes. L’ancien ministre avait proposé une feuille de route, avec des bonnes et moins bonnes idées, mais qui instaurait un retour aux échanges avec les représentants syndicaux. Des mesures quelquefois trop rapides qui n’ont pas toutes été étudiées en profondeur" estime Éric Dijoux.

"Le président disait avoir fait de l’Éducation sa priorité, en prenant le ministre de l’Éducation Nationale comme Premier ministre, c’est une façon de voir, mais les personnels en seront davantage inquiets", ajoute le représentant syndical de SE-Unsa.

"Notre travail n’est pas pris en compte, il y a une méconnaissance du quotidien de chaque personnel de l’Éducation nationale, et de la situation des élèves les plus en difficulté."

"Nous attendons la nomination du prochain ministre, et notre demande sera de continuer à travailler pour nos élèves, et l’ensemble des agents de l’Éducation Nationale, pas dans un mode 49.3 mais dans la concertation", poursuit-il.

"Concernant ce ministère justement, la rotation des ministres finit par interroger sur l'intérêt réel porté par ce gouvernement à l'égard de l'école publique. Nous sommes donc encore en attente du nom d'un.e successeur.e rue de Grenelle sans illusion cependant sur le devenir des réformes qui ne seront pas mises en pause", clame Marie-Hélène Dor de la FSU.

"Il en va de même des autres dossiers puisque la proximité avec Macron du nouveau Premier ministre est connue : rien ne changera, si ce n'est un ravalement de façade pour tenter d'enrayer la bérézina annoncée au niveau des élections européennes et peut-être aussi pour préparer l'après Macron de 2027. Au fond, tout cela est un peu pathétique", conclut-elle.

Gabriel Attal avait lancé de nombreux dossiers, il en laisse donc plusieurs en chantier, notamment celui sur le "choc des savoirs".

Le ou la nouvelle ministre de l'Éducation va devoir aussi reprendre l'expérimentation sur l'uniforme, où plusieurs collectivités sont partantes, ou encore la refonte de la formation initiale des professeurs.

Lire aussi - Redoublement, bac… "le choc des savoirs" confronté au "choc salarial" selon les syndicats

ma.m/www.imazpress.com/[email protected]

guest
0 Commentaires